mercredi 28 octobre 2009

Le pendule du vorcier - Episode 14

Une heure plus tard, nous nous installâmes dans une aire de jeux pour enfants. De là, nous avions une vue imprenable sur la rue et les maisons de pierres qui la bordaient, toutes identiquement plantées dans des jardins bien entretenus.

Alex escalada les cubes de tubes métalliques. Des écailles de peinture verte tombèrent sur le sable. Elle s’alluma une cigarette et me lança le paquet. Elle ne la fumait pas, mais laissait le tabac se consumer peu à peu.

Je passai la première heure à tourner en rond, marchant sur les rebords du bac à sable, le paquet de cigarettes à la main. La seconde ne fut guère plus palpitante : j’oscillai mollement sur une balançoire.

Après avoir fait le tour des activités du jardin, je finis par renoncer à lutter contre l’ennui. Assis au pied du réverbère, j’avais allumé la première cigarette d’une longue nuit. J’enviais l’immobilité d’Alex, elle avait à peine bougé, perchée sur cet édifice de tubes écaillés. Entre ses lèvres rouges, il ne restait plus qu’un filtre.

Le paquet était fini depuis longtemps lorsqu’Alex atterrit devant moi. Elle me souffla.
— Regarde ! Troisième maison de l’autre côté de la rue.
— Celle avec les volets bordeaux ?
— Oui, la porte vient de s’ouvrir.

En effet, la porte du pavillon qu’elle me désignait était ouverte. Sur le seuil se tenait une jeune fille aux longs cheveux châtains portant une robe noire. Je ravalais une exclamation en reconnaissant Lola. Il y avait quelqu’un derrière elle, mais je ne pouvais pas voir de qui il s’agissait.

Nous attendîmes que le baiser entre Lola et la personne à l’intérieur de la maison se termine. La porte était toujours ouverte quand elle descendit les marches. Arrivée au portail, elle se retourna. L’homme venait de sortir de la maison pour l’embrasser une dernière fois. À la lumière du réverbère, je reconnus Daniel Kaenel.

Avoir assisté à une telle scène m’avait complètement secoué. Alex quant à elle était toujours aussi calme. Nous nous éclipsâmes par l’arrière du parc sans dire un mot. Le dernier bus était parti depuis longtemps, il nous fallait donc rentrer à pied. Le son des cloches nous informa qu’il était trois heures du matin. Nous n’avions plus que trois heures avant le lever du soleil.

Je courrais presque et je dus m’arrêter régulièrement pour reprendre mon souffle. À côté de moi, Alex trottinait à mon rythme. Elle n’avait pas l’air de peiner, mais regardait fréquemment vers l’Est.

Ce fut avec inquiétude que nous vîmes le ciel s’éclairer. Alex avait les yeux rivés sur le sol, elle perdait ses forces à vue d’œil. Il me fallut la supporter pour parcourir le dernier kilomètre, puis la traîner jusque chez elle.

lundi 26 octobre 2009

Le pendule du vorcier - Episode 13

Je voulais à tout prix me raccrocher à cette idée et décidai de rentrer chez moi avant que mes parents ne s’inquiètent. Je fus bien inspiré d’être revenu à la maison. Le soleil était en train de se coucher et ma mère m’attendait derrière la porte.
— Qu’est-ce que tu faisais Guillaume ?
— Lola était malade aujourd’hui, je suis allé lui apporter les cours qu’elle a manqués.

J’avais de la chance que ma mère connaisse Lola. Sinon j’aurais eu droit à un interrogatoire en règle. Elle poursuivit.
— Comme ton père est parti à un congrès pour trois jours, je t’ai préparé ton dîner. Tu le feras réchauffer à huit heures, je dois aller travailler. Tu devrais te coucher tôt ce soir, tu as l’air un peu fiévreux.

Je prêtai une oreille distraite aux recommandations maternelles. Par la fenêtre, je venais d’apercevoir quelqu’un sauter par-dessus la haie. Il me sembla reconnaître une croix blanche sur le torse de notre visiteur, mais il se dissimula parmi les plantes en un clin d’œil. Lorsque je rentrais dans la cuisine, je trouvais la fenêtre ouverte. J’attendis d’entendre le bruit de la voiture de ma mère s’éloigner pour la refermer.

Alex était là, les fesses posées sur le rebord de l’évier. Ses longues jambes gainées de jean noir étaient croisées devant elle. Sa présence était la dernière chose qui manquait à ma soirée pour basculer dans la folie la plus totale. Comme elle ne m’adressait pas la parole, je l’ignorai le temps de réchauffer mon repas.

Le bourdonnement du four à micro-ondes s’acheva par une série de bips. En récupérant mon assiette, je demandai à Alex.
— Tu en penses quoi, de la combustion humaine spontanée ?
Elle prit de temps de réfléchir avant de répondre.
— Des fois, elle n’est pas spontanée.

Sa réponse me fit sourire. Tout en mangeant, je lui fournis le peu d’informations auxquelles j’avais eu accès à propos de la mort du surveillant. Je réprimai un frisson quand son regard se fixa sur moi. Ses yeux pâles avaient le don de me mettre mal à l’aise.
— Tu penses que c’est le prof qui a cramé l’autre fouineur ?
Je ne savais pas quoi répondre, sa question était abrupte, mais elle faisait écho à mes propres doutes.

Une fois vide, je mis mon assiette dans l’évier. Ce faisant, je frôlai la taille d’Alex. Elle était aussi froide que les meubles de la pièce. Cette sensation accentua encore le malaise que je ressentais à ses côtés. Bien qu’étrange, elle était la seule personne à laquelle je pouvais parler librement.

Une idée pour retrouver Lola me traversa l’esprit.
— Tu as toujours ton pendule avec toi ?
— Oui, pourquoi ?
En guise de réponse, je sortis le portemine bleu de mon blouson et le lui lançai. Elle l’attrapa au vol.
— Tu penses pouvoir retrouver Lola avec ça.
— Oui. Et si tu avais une carte de la ville, ça serait encore plus facile.
— Je vais te chercher ça tout de suite.

Je trouvais une carte dans le bureau de mon père à l’étage. Quand je redescendis, Alex s’était installé sur la table et faisait tourner sa bille noire au-dessus du portemine. Elle le glissa dans sa poche et déplia la carte à la place.

vendredi 23 octobre 2009

Le pendule du vorcier - Episode 12

Ma première réaction fut de foncer voir Lola. Il y avait manifestement une histoire entre elle et Daniel Kaenel. À la lumière cette révélation, il était logique que je ne lui aie servi qu’à tenter de dissimuler sa véritable liaison.

Le fait d’avoir compris qu’elle m’avait utilisé ne m’empêchait pas de vouloir lui épargner une fin identique à celle du surveillant. La cause de sa mort me paraissait particulièrement suspecte. Combustion humaine certes, mais pour le spontané j’avais de sérieux doutes. D’autant plus que Kaenel ne se trouvait plus dans le bureau lorsque les pompiers étaient arrivés.

Je parcourus la distance qui séparait l’arrêt de bus de chez Lola en courant. Ses parents m’accueillirent avec amabilité. Sa mère me dit de monter à l’étage, sa chambre était la deuxième à droite de l’escalier.

Je m’attendais à voir Lola dans sa chambre. Je l’imaginais en train de travailler, penchée sur son bureau bien rangé. Pourtant, elle n’y était pas. Elle n’était pas non plus sur son lit, ni même dans ses placards que j’avais ouverts croyant à une plaisanterie. Je l’appelai à mi-voix, puis je me résolus à l’attendre.

Elle devait être sortie de la pièce juste avant mon arrivée. J’eus l’impression que les minutes se faisaient de plus en plus longues. J’étais assis sur un couvre-lit à fleurs, entouré de peluches et de coussins. Pourtant, l’atmosphère de cette pièce ressemblait à celle qui flottait dans la demeure d’Alex. Cette étrange impression de vide et de silence, comme si personne ne vivait dans cette chambre.

Je fus à deux doigts de m’assoupir lorsque je réalisai que j’avais passé un quart d’heure à attendre Lola. Je me décidai à demander à nouveau à ses parents où elle était passée. La réponse fut identique, même après que j’aie amené sa mère dans la chambre pour lui faire constater que non, Lola n’était pas dans sa chambre. J’obtins la même réponse de son père et son frère. Pour toute la famille, Lola était dans sa chambre.

Après avoir répété « où est Lola ? » plus de vingt fois, je finis par sortir. Cette histoire était en train de me rendre dingue. Je m’assis sur le trottoir, j’avais besoin de remettre de l’ordre dans mes pensées.

En premier lieu, ma petite amie avait très probablement une liaison avec un professeur du lycée. En second lieu, le professeur en question semblait doté de pouvoirs relevant du paranormal. Et en dernier lieu, Lola avait disparu et ses parents étaient réduits à l’état d’automates, répétant en boucle la même phrase.

Je ne savais que faire, j’avais l’impression de rêver. Cette situation me dépassait complètement. Je me pris à espérer que dès demain Lola soit revenue en cours et me demande d’aller avec elle déposer son mot d’absence dans le bureau du surveillant.

mercredi 21 octobre 2009

Le pendule du vorcier - Episode 11

Comme je le pensais, je pouvais entendre la conversation entre Kaenel et le surveillant de la fenêtre du laboratoire. Ce dernier était déjà en train d’insulter le professeur. Le motif de sa colère avait été évoqué avant que je n’aie commencé à les épier.

De ce que j’arrivais à comprendre, Kaenel était accusé d’avoir une liaison avec une personne de l’établissement, une élève probablement. Cela ne me surprenait pas, il était extrêmement populaire, en particulier auprès des filles de sa classe. Elles avaient des trémolos dans la voix lorsqu’elles évoquaient ses mains fines, ses yeux verts et son visage d’intellectuel.
— Pour des raisons que vous ne pouvez comprendre, Lola et moi sommes unis par le destin. C’est le fruit d’un heureux hasard si nous nous sommes retrouvés ici, mais je refuse de renoncer à elle au nom de vos principes d’éducation.
— Vous êtes fou Kaenel, et cette folie va vous coûter votre poste de professeur.
— Non, c’est vous qui êtes fou de vous opposer au destin. Et cette folie va vous coûter bien plus que votre poste de surveillant de lycée.

Il en fallait plus que des réponses délirantes sur le destin ou je ne sais quoi d’autre pour faire taire le surveillant. Pourtant, il ne répliqua rien, à vrai dire il n’y eut plus aucun bruit dans le bureau. Je n’entendis même pas la porte s’ouvrir. Je restais assis sous la fenêtre, attendant qu’il se passe quelque chose.

J’étais toujours à la même place, la tête posée sur les bras quand le son strident d’une sirène retentit. Je m’étais probablement endormi, car il s’était écoulé une demi-heure depuis que les voix dans le bureau s’étaient tues.

Par la fenêtre, je vis un camion de pompier se garer au milieu de la cour. Les hommes qui en sortirent se dirigèrent vers le bâtiment où je me trouvais. J’attendis encore un moment, le temps qu’ils montent et arrivent devant le bureau du surveillant. Les coups sourds, suivis d’un craquement, m’indiquèrent qu’ils venaient de défoncer la porte.

En sortant du laboratoire, je croisai un pompier poussant un brancard sur lequel il y avait un tas de cendres, deux pieds dans leurs chaussures et une main intacte. Je l’entendis parler de combustion humaine spontanée.

lundi 19 octobre 2009

Le pendule du vorcier - Episode 10

De retour au lycée le lundi matin, je me félicitai d’avoir gardé le silence sur ma sortie avec Lola. Je pus donc prétendre avoir passé mon week-end à faire mes devoirs et échapper aux questions indiscrètes.

Les cours habituels se succédèrent toute la matinée. Je m’inquiétai un instant de ne pas voir Lola au milieu de ses copines. Pourtant, ne pas les entendre jacasser son mon compte et sur la sortie ratée me fit plutôt plaisir.

En revenant de la cantine, je croisai le professeur Kaenel devant le bureau du moustachu. Il m’adressa un sourire en coin avant de refermer la porte derrière lui. Un bonjour sec l’accueillit à l’intérieur, le même que celui destiné aux élèves prit en faute. Le claquement de la serrure du bureau confirma mon intuition, la conversation qui allait avoir lieu était importante. Il n’en fallait pas plus pour titiller ma curiosité. C’était au club de Kaenel que Lola passait tous ses mardis soirs.

Je montai à l’étage supérieur et entrai dans le labo de photographie. Celui-ci était situé juste au-dessus du bureau. Suite à une expérience de chimie ratée, j’avais été convoqué dans ce même bureau. J’avais ainsi eu l’occasion de constater que le surveillant laissait sa fenêtre ouverte en permanence, et qu’il parlait très fort lorsqu’il s’emportait.

vendredi 16 octobre 2009

Le pendule du vorcier - Episode 9

Le samedi après-midi, je pris le bus pour me rendre en centre-ville. Lola avait accepté ma proposition et nous devions nous retrouver devant le parc du lycée à cinq heures. Elle s’était montrée enthousiaste à l’idée d’aller voir le caveau du vampire. L’affiche ne faisait aucun mystère du genre auquel il se rattachait. Le héros et sa fiancée se serraient l’un contre l’autre au milieu d’un cimetière rempli d’ombres menaçantes.

Après avoir fait la queue pour les billets pendant une dizaine de minutes, nous nous retrouvâmes assis côte à côte dans la salle de cinéma. Lorsque la lumière s’éteint, j’eus l’intuition d’avoir commis une erreur en acceptant d’aller voir ce film.

Cette impression se confirma tout au long de la séance. Le comportement de Lola était l’exact opposé que ce à quoi je m’attendais. Elle soupira ouvertement pendant la première partie, jusqu’à ce que la fiancée du héros se fasse enlever par le vampire. Les tentatives de séduction du monstre la firent rire aux éclats et elle insulta presque la fiancée du héros d’y succomber.

Une demi-heure avant la fin du film, je me résignai et cessai d’observer Lola. Je profitai donc pleinement de la poursuite de nuit à travers un cimetière entre le couple de héros et le vampire. C’était cette scène qui illustrait l’affiche et je la trouvais plutôt réussie, même si la fin laissait à désirer.

Je n’avais certes qu’une expérience limitée en matière de vampires, mais il me semblait que les réactions de l’acteur face au crucifix improvisé du héros étaient excessives. Ce pauvre vampire finit empalé par un pieu au pied d’une statue d’ange. Un soleil particulièrement véloce se leva derrière l’ange et transforma le mort-vivant en poussière.

J’étais encore surpris d’avoir vu Lola trépigner de joie tandis que le vampire se désagrégeait. Je me demandai si elle n’était pas plus bizarre que je ne l’avais imaginé. Pourtant, alors que nous attendions le bus, je lui pris la main et tentai de l’embrasser.

Ma tentative était maladroite, mais Lola se révéla adroite pour l’esquiver. Je me sentis profondément ridicule et lui lâchai la main. Le silence entre nous était pesant. Dans l’espoir de détendre l’atmosphère, je lui proposais de lui rendre le portemine bleu qui trainait toujours dans ma poche.
— Je croyais que c’était toujours Mathilde qui l’avait. Tu peux le garder si tu veux.
— D’accord.

Je me retins de lui parler d’Alex que ce portemine intéressait au plus haut point. Au vu de ses réactions durant le film, j’en avais déduit qu’elle ne portait pas les vampires dans son cœur. Visiblement, elle ne m’appréciait pas plus que ça non plus.

J’étais trop déçu sur le moment pour trouver étrange qu’elle ne soit pas rentrée en bus avec moi. J’y réfléchis durant le trajet qui me ramena chez moi, mais ne trouvais pas d’explication satisfaisante.

mercredi 14 octobre 2009

Le pendule du vorcier - Episode 8

J’eus la satisfaction de constater que mon visage n’avait pas gardé trop de traces de mon insomnie. Les cernes sombres sous mes yeux n’étaient pas très visibles et je n’avais pas l’air d’un cadavre fraichement déterré. Imaginer un mort sortant de sa tombe me fit frissonner. Après tout, les vampires n’étaient rien d’autre que des créatures mortes dormant dans des cercueils.

Pour chasser ces sinistres pensées, j’entrepris de me coiffer. Mes cheveux bruns avaient toujours refusé de tenir en place et ils ne firent pas d’exception ce matin. J’enfilai le premier pantalon que je trouvai et pris un pull dans mon armoire.

Le silence qui régnait dans la maison m’informa que mes parents étaient déjà partis. Je ne pourrais pas compter sur eux pour me déposer au lycée. L’heure n’était pas aux questions vampiriques, j’avais un bus à prendre et trois heures de sommeil à rattraper. En passant, j’attrapai un paquet de biscuits que je grignotais dans le bus.

Je retrouvai Lola en cours. Elle s’était installée au premier rang, trop loin pour que je puisse lui parler. Pendant qu’un élève malchanceux peinait au tableau pour résoudre un problème de mathématiques, je repensais à la visite d’Alex. Où Lola avait-elle pu trouver un crayon qui ait la faculté d’attirer sa curiosité et comment celle-ci avait-elle su qu’il se trouvait dans ma poche ?

Mon air songeur me valut d’être le suivant à passer au tableau. Le professeur n’eut pas le temps de finir de lire l’énoncé que j’avais déjà pris la craie pour écrire la solution. Je fus donc désigné pour terminer la correction des exercices jusqu’à la fin du cours.

Lorsque je retournai à ma place, Lola était déjà sortie bavarder avec ses amies. Je m’intéressai donc à la conversation qui animait Maxence et Rémi.
— Puisque je te dis qu’ils ont adapté ce film d’un livre, affirmait Maxence.
— Je veux bien te croire, mais pas avant que tu ne m’aies dit que quel livre tu parle.
— Un vieux truc. Je l’avais vu à la bibliothèque l’an dernier.

Ne parvenant pas comprendre de quoi ils parlaient, je demandai à Arnaud le point de départ de cette discussion.
— Un film qu’ils sont allés voir mercredi. Le caveau du vampire, il me semble.
— Et il est bien ?
— Je pense que oui, ils n’arrêtent pas d’en parler depuis ce matin.

Je jetai un coup d’œil en direction de Lola qui était toujours occupée avec ses amies. De quoi pouvaient-elles parler à longueur de journée ? Cette fois, je pris sur moi et allai la voir avant la fin de la pause. Il était temps que je lui propose d’aller avec moi au cinéma, puisque j’avais enfin un film à lui proposer.

lundi 12 octobre 2009

Le pendule du vorcier - Episode 7

Soudain, je sentis un courant d’air froid sur ma nuque. Je me relevai d’un bond, pour tomber nez à nez avec Alex. Me retrouver à quelques centimètres de son visage blême me causa une frayeur telle que j’en retombai sur ma chaise.

Je constatai avec satisfaction qu’elle avait pris la peine de se vêtir correctement. Pourtant, je fus à deux doigts de revoir mes hypothèses concernant son statut de vampire quand je constatais que son T-shirt noir était orné d’une immense croix blanche. Son regard capta le mien avec une étrange acuité, puis elle sourit sans desserrer les lèvres. Je parvins à coasser plus qu’à demander.
— Tu n’as pas peur des croix ?
Son rire me fit frissonner, cette fille ne pouvait pas être normale.
— Tu peux constater que non…

L’image de ses canines pointues sur la photographie prise par Nicolas restait incrustée dans ma mémoire. De plus, elle attendait toujours le coucher du soleil pour se manifester. Elle ne pouvait pas être autre chose qu’un vampire.
— Pourtant, tu es un...
J’avais arrêté ma phrase à temps, mais Alex avait cessé de rire. Elle attendait la suite, les bras croisés sous la poitrine.

Comme je gardais le silence, elle continua à ma place
— Tu voulais dire vampire, je suppose…
Je n’avais pas la possibilité de mentir, pas quand elle me fixait avec ce regard pâle.
— Oui, je pensais que tu étais un vampire.
— Tu te trompes, murmura-t-elle. Je suis un vorcier.

J’ignorais ce qu’était un vorcier, mais je ne tenais pas à le savoir pour l’instant. La conversation que nous venions d’avoir m’avait sérieusement ébranlé. Je me surpris à penser qu’elle aurait pu être séduisante sans sa peau trop pâle et les mèches de cheveux qui lui retombaient devant le visage.

Le mouvement qu’elle fit en direction de ma chaise me prit par surprise. Elle s’était emparée de mon blouson avant même que je ne puisse l’en empêcher. Comment pouvait-elle se déplacer aussi rapidement ? Elle ouvrit mes poches les unes après les autres pour les fouiller.
— Où as-tu eu ce truc ?
Par truc, je compris qu’elle désignait le portemine bleu pailleté de Lola.

Elle me demanda en bloc à qui il appartenait, depuis combien de temps je l’avais et, plus étonnant encore, si elle pouvait le garder. Je m’opposai à sa dernière requête, j’avais l’intention de le rendre à Lola le lendemain. Alex ne s’en formalisa pas, je crus déceler une lueur d’intérêt dans ses yeux quand je prononçai le prénom de ma petite amie.

Elle tenait toujours le portemine quand elle alla s’asseoir sur le lit. Elle sortit une sorte de bijou de la poche de son jean. C’était une bille noire suspendue au bout de sa chaîne à laquelle elle fit décrire des cercles au-dessus du crayon. La main d’Alex était immobile, elle se contentait d’observer les rotations du pendule.

D’une impulsion, la bille regagna sa main. Son sourire était différent, elle semblait très satisfaite. Elle me lança le crayon et me remercia. Le temps que je le remette dans ma poche, elle avait disparu.

Ce ne fut qu’une fois allongé sur mon lit que je me détendis. Rétrospectivement, j’étais mort de trouille. Alex avait la capacité d’apparaître ou de disparaître à volonté, ce qui était loin de m’aider à trouver le sommeil.

La fatigue finit par me prendre par surprise peu avant l’aube. En m’éveillant, j’avais l’impression de ne pas avoir fermé l’œil de la nuit. Il me fallut plusieurs minutes sous une douche froide pour émerger. La visite d’Alex m’apparaissait à présent comme un mauvais rêve. Pourtant, je savais qu’il n’en était rien.

vendredi 9 octobre 2009

Le pendule du vorcier - Episode 6

Cette journée avait bien commencé, malheureusement ce furent les seuls moments que je passais avec Lola. Elle emporta ses affaires à la pause et ne revint pas. Je voulais bien comprendre que la biologie ne l’intéressait pas, mais de là à profiter de l’intercours pour filer.

Ce n’était pas la première fois qu’elle séchait des cours. Ce devait être la raison de l’attitude du surveillant quand elle était venue lui apporter son mot d’excuse. Il était connu pour ne pas tolérer ce type de comportement.

Je chassais ses préoccupations pour me concentrer sur les schémas de chromosomes dessinés au tableau. Bien que la biologie soit l’une de mes matières favorites, la voix monocorde du professeur avait tendance à m’endormir. Je dus perdre le fil de son cours à un moment donné et m’assoupir, car je ne réalisais pas qu’il venait de terminer.

Je rangeai mes affaires à la hâte quand une amie de Lola vint me voir. Il me fallut quelques secondes pour recoller un prénom à ses grands yeux clairs cachés derrière d’épaisses lunettes. Elle s’appelait Mathilde et était environnée d’un nuage de parfum vanillé qui me donnait la nausée. Comment pouvait-on supporter une telle odeur en permanence ?
— Guillaume, j’ai quelque chose à te demander.
Je l’invitai à poursuivre tout en fermant mon sac.
— Lola m’a prêté son portemine, mais j’ai oublié de le lui rendre. Elle y tient beaucoup, tu pourras le lui rapporter s’il te plait.
— Pas de problème.
Elle me confia le crayon que je glissais dans une poche de mon blouson, puis elle poursuivit.
— Je suppose que toi et Lola vous voyez souvent, vous habitez dans la même rue.

Bien qu’involontaire, la remarque de Mathilde avait fait mouche. Je n’avais cessé d’y penser durant le trajet du retour et j’y pensais encore en faisant mes devoirs. Je sentais que quelque clochait dans ma relation avec Lola, mais je ne parvenais pas à identifier l’origine de ce trouble.

Nous étions presque voisins, pourtant nous ne passions jamais de temps ensemble hors du lycée. Les sorties en amoureux faisaient partie des sujets de conversation favoris de mes camarades. Il était temps que j’en propose une à Lola, même si je n’avais aucune idée de ce qui pourrait lui plaire. Peut-être une séance de cinéma, si j’arrivais à choisir le film que nous irions voir.

mercredi 7 octobre 2009

Le pendule du vorcier - Episode 5

Le lendemain matin arriva trop vite. Je n’étais pas parvenu à trouver le sommeil tant ma découverte accidentelle me préoccupait. Heureusement que la journée du mercredi était la moins chargée de la semaine.

Pour une fois, je pris le petit-déjeuner avec mes parents. J’eus donc à supporter un laïus de mon père sur l’importance d’avoir de bons résultats au lycée. Bien qu’étant silencieuse, ma mère approuvait ce discours. Je la soupçonnais même de l’avoir poussé à me parler. En temps normal, nous nous croisions sans échanger le moindre mot.

La satisfaction de retrouver Lola à l’arrêt de bus effaça mes contrariétés matinales. Elle était particulièrement ravissante ce matin-là, elle avait détaché ses longs cheveux châtains et avait troqué son habituelle jupe grise pour une robe bleue.

Le trajet pour nous rendre au lycée me parut plus court que d’habitude, même si elle passa plus de temps à regarder par la fenêtre qu’à faire la conversation. Le bus s’arrêta à quelques mètres du lycée. En sortant, Lola me demanda.
— Dis-moi Guillaume, tu veux bien m’accompagner au bureau du moustachu ?
J’acquiesçai d’autant plus volontiers que sa main venait de se glisser dans la mienne.

En chemin, elle m’expliqua qu’elle devait apporter un justificatif d’absence au surveillant général et elle avait l’impression qu’il la détestait. Cela ne me surprit guère, le surveillant en question était affublé d’une mauvaise humeur tout aussi légendaire que sa moustache.

Le surveillant regarda le mot que venait de lui tendre Lola avec suspicion. Son regard soupçonneux remonta vers nous. Il la dévisagea, puis ce fut mon tour d’être passé au crible de ses yeux noirs. Il nous fixait toujours quand nous quittâmes le bureau. Il donnait vraiment l’impression d’avoir une dent contre Lola. Son attitude m’avait tellement intrigué que je ne remarquai pas le professeur debout au milieu du couloir.

Sous le choc, il laissa tomber la pile de papiers qu’il avait dans les mains. Les feuilles se répandirent tout autour de nous. Nous nous retrouvâmes tous les trois accroupis pour récupérer les feuilles répandues sur le sol. Je bredouillai des excuses auxquelles le professeur répondit avec le sourire.
— Cela arrive à tout le monde d’être distrait.

Me sentant observé, je jetai un coup d’œil en arrière. Le surveillant nous regardait toujours, la moustache tordue d’une drôle de façon. Je lui renvoyai un regard étonné, ce qui lui fit hausser les épaules. Il se décida finalement à retourner dans son bureau dont il claqua la porte derrière lui.

Une fois les feuilles ramassées, le professeur reprit son chemin dans les couloirs, toujours d’excellente humeur. Dès qu’il fut hors de vue, je demandai à Lola si elle savait qui il était.
— Bien sûr, c’est Daniel Kaenel, le professeur de littérature des terminales. C’est lui qui anime le club de lecture du mardi soir.

lundi 5 octobre 2009

Le pendule du vorcier - Episode 4

Ma soirée s’étant libérée, j’en profitai pour passer au club de photographie. C’était une activité que j’aimais pratiquer à mes heures perdues. Ce qui me plaisait le plus n’était pas de prendre des clichés, mais de les développer. L’ensemble de bains chimiques à manipuler m’amusait au plus haut point.

Lorsque j’arrivai au laboratoire, il y régnait une animation inhabituelle. J’en demandai la raison à Maxence qui semblait particulièrement agité.
— C’est Nicolas, m’expliqua-t-il. Il voulait faire des photos dans le parc, derrière le lycée. Il n’y avait personne, alors il est passé par-dessus le grillage. Il est tombé sur quelqu’un, un gars qui traînait dans le parc, et il a explosé son appareil.

Ce fut Nicolas en personne qui m’apprit qu’il avait eu le réflexe de prendre son agresseur en photo. Son appareil gisait sur la table en plusieurs morceaux, le rôdeur avait donné un coup de poing dedans avant de s’enfuir.

La tâche de développer le négatif me fut confiée à l’unanimité. Je me rendis dans la salle dédiée, un placard obscur plutôt d’une véritable chambre noire. Avec précaution, je déroulai la pellicule. Par miracle, elle était intacte et n’avait pas été abîmée par la lumière. Je parvins à récupérer le négatif de la dernière photographie prise, celle de l’assaillant de Nicolas.

Au fond du bac, je vis un visage se dessiner. Cependant, ce ne fut qu’une fois que le cliché avait commencé à sécher que je reconnus les traits d’Alex. Un détail me glaça d’effroi. Sur cette photo, elle avait la bouche ouverte, deux canines longues et pointues en sortaient.

J’avais l’intention de montrer la photo à mes camarades dès qu’elle serait prête, mais après une minute de réflexion je réalisai que ce n’était pas une bonne idée. Il valait mieux que je garde cette découverte pour moi seul. Je n’avais pas envie de faire face aux questions qu’elle n’aurait pas manqué de provoquer.

J’emballai donc soigneusement le négatif, puis le glissai dans ma poche. Ensuite, j’allumai la seule ampoule de la pièce et regardai le visage d’Alex s’effacer. Lorsque je sortis de la salle, j’annonçai aux membres du club que la pellicule avait été exposée à la lumière et que je ne pouvais rien en tirer. Leurs espoirs de se livrer à une chasse au rôdeur furent déçus et seul Nicolas sembla en éprouver du soulagement.

Sur le chemin du retour, je passai devant l’endroit où j’avais vu Alex pour la première fois. Quelques mètres plus loin, je reconnus le portail métallique aux gonds rouillés. La maison quant à elle était dissimulée par un rideau de cyprès. Aucune lumière ne brillait aux fenêtres. Cette demeure semblait déserte et les herbes hautes qui faisaient office de pelouse confirmaient cette impression.

À la nuit tombée, cet endroit était des plus sinistres et je m’en éloignai avec soulagement. J’espérais de tout cœur que la prédiction de ma nouvelle voisine ne se réaliserait pas. Après avoir vu sa surprenante dentition, j’étais décidé à l’éviter.

vendredi 2 octobre 2009

Le pendule du vorcier - Episode 3

Après les événements de la nuit précédente, je n’étais pas franchement enthousiaste à l’idée de retourner au lycée. Ma mère étant infirmière, je n’avais pas la possibilité de prétendre être malade pour manquer les cours. Un poignet douloureux et des bras couverts de bleus ne constituaient pas un motif suffisant pour rester à la maison. De plus, il m’aurait fallu raconter ma rencontre avec Alex et je n’y tenais pas.

À mon grand soulagement, mes agresseurs de la veille m’évitèrent toute la journée. J’eus juste l’occasion d’en apercevoir un à l’autre bout d’un couloir. Avec sa main bandée et son visage tuméfié, il avait l’air bien plus mal en point que moi. L’affrontement avec Alex avait dû être violent.

J’aurais aimé passer un peu de temps avec Lola aujourd’hui. Malheureusement, elle restait rarement en classe entre les cours et les seules fois où je pus la voir, elle était entourée de ses amies. Je n’avais pas l’intention de la déranger et décidai donc de passer ma pause avec Maxence, Rémi et Arnaud, des camarades de classe avec lesquels je m’entendais bien. Comme à mon habitude, je parlais peu et restais perdu dans mes pensées.

Depuis le début de ma relation avec Lola, j’étais devenu leur sujet de conversation favori. Ils se demandaient tous comment j’étais parvenu à séduire une fille aussi ravissante. Certains s’interrogèrent sur le fait que je ne sois pas à ses côtés et voulurent en connaître la raison. Je répondis que je préférais attendre la fin des cours pour passer du temps avec elle.

En fin de compte, je n’eus même pas l’occasion de lui dire un mot. Elle quitta la classe à toute vitesse dès la fin de la dernière heure. Je m’apprêtais à partir moi aussi quand une de ses amies m’attrapa par la manche.
— Excuse-moi Guillaume… Lola m’a demandé de te dire qu’elle allait au club de lecture. Elle te dit de ne pas l’attendre pour rentrer et qu’elle te verra demain matin.