lundi 29 novembre 2010

Chapitre 9 de Limonade - Episode 10

Les deux adolescents restèrent assis le temps de terminer leurs cocas. Lorsque son verre fut vide, Fabrice déclara :
– Je trouve que Gwenaëlle et son frère ne se ressemblent pas beaucoup. J’aurais jamais deviné qu’ils sont de la même famille.
– Pourtant, ils ont quasiment la même couleur de cheveux et la même forme de visage. À part que Ghislain a les yeux verts et Gwen les yeux bleus, ils sont presque pareil.

Cette réponse suscita un souvenir amusant, ce qui le fit sourire.
– À quoi tu penses ?
– A Gwen, elle détestait quand les gens la prenaient pour un garçon. Jusqu’à ce qu’on entre au collège, ça lui arrivait tout le temps.
– C’était un garçon manqué ?
– Oui, elle faisait tout exactement comme son frère. Ils s’adorent tous les deux, c’est pour ça que je trouve bizarre qu’elle ne lui ait parlé de toi.

Fabrice repensa à la conversation téléphonique qu’il avait eue l’avant-veille avec Anne-Sophie. Elle aussi ignorait leur relation, car Gwenaëlle n’en avait parlé à personne. Il se souvient que sa copine avait promis de l’appeler durant le week-end, mais il espérait qu’elle ne tiendrait pas parole. Sa déclaration implicite continuait de le mettre mal à l’aise.

Le regard interrogateur de Corentin le ramena à l’instant présent. Avant que son ami ne lui pose une question sur ses réflexions, il demanda :
– Alors comme ça, ton surnom c’est Cory ?
– Non, il y a juste Ghislain et Gwen qui m’appellent Cory.
– Maintenant, il y a moi.

À la perspective de devoir répondre à ce surnom, l’adolescent pinça les lèvres. Cependant, il ne dit pas, conscient que ses protestations ne feraient qu’inciter Fabrice à l’appeler ainsi.
– On y va, proposa ce dernier.
– OK.

Les deux garçons repartirent à pied en direction de leur lycée. À partir de là, ils rentreraient l’un en bus et l’autre en moto.

vendredi 26 novembre 2010

Chapitre 9 de Limonade - Episode 9

Dès que leurs boissons furent servies, l’adolescent demanda :
– Tu as eu des nouvelles de Gwen récemment ?
– Non, elle fait sa mauvaise tête en ce moment.
– Pourquoi ?
– Tu es prêt pour un nouvel épisode des histoires de la famille Gennec ?

Cette introduction fit place aux complications familiales qui avaient suivi le divorce des parents de Gwenaëlle. À l’attention de Fabrice, le frère de celle-ci résuma les conséquences du divorce qui avait eu lieu trois ans plus tôt.
– Je suis allé vivre avec mon père et sa nouvelle compagne, Véronique, pendant que Gwen restait seule avec notre mère. Cory pourra confirmer qu’elle n’allait pas très bien à cette période.

L’intéressé hocha la tête afin d’appuyer le récit sans l’interrompre ; Ghislain poursuivit :
– L’année dernière, notre mère s’est remariée avec Georges qui a déjà une fille de neuf ans, Sandra. Autant dire tout de suite que, entre ma sœur et elle, c’est la guerre perpétuelle. Même quand je ne viens passer qu’un après-midi, il y a forcément des portes qui claquent, des cris et des crêpages de chignons.
– Gwenaëlle ne m’en a jamais parlé, commenta Fabrice.
– Vu que c’est toujours elle qui commence, elle ne doit pas s’en vanter.

Corentin ne partageait pas ce point de vue et exprima son désaccord d’une moue crispée, ce qui n’empêcha pas l’étudiant de révéler les quatre vérités à propos de sa sœur :
– Toujours est-il que, depuis ce remariage, Gwen est devenue une vraie furie. Georges essaye de remettre de l’ordre, mais elle n’en fait qu’à sa tête.
– Tu disais que Gwen n’allait pas très bien, coupa l’adolescent, désireux de changer de sujet.
– Ah oui, Véronique et papa vont avoir une petite fille.
– C’est super ! s’exclama-t-il.
– Va expliquer ça à Gwen, elle est persuadée qu’ils veulent la remplacer par cette petite sous prétexte qu’elle va s’appeler presque comme elle.
– Quel sera son prénom ? s’enquit Fabrice.
– Gaëlle.

La ressemblance entre les deux prénoms était flagrante, pourtant cela ne révélait pas d’intention de chasser Gwenaëlle de sa propre famille. Toujours avec le sourire, Ghislain déclara :
– Bon, il va falloir que je vous laisse. Ma copine va finir par s’impatienter.

Il se leva afin de régler les consommations, puis quitta le bar avec un signe de la main.

mercredi 24 novembre 2010

Chapitre 9 de Limonade - Episode 8

Avec une impatience non dissimulée, les deux garçons rangèrent leurs livres, puis quittèrent la salle de classe. La pendule accrochée devant le bureau des surveillants indiquait onze heures et deux minutes ; ils avaient encore le temps de traîner ensemble avant de rentrer chez eux.

Plutôt que de rester dans l’enceinte du lycée, ils prirent la direction du square de la Motte. Le ciel dégagé laissait espérer une belle après-midi et ils profitèrent des rayons de soleil assis sur l’un des bancs du parc.

Un jeune homme s’approcha d’eux et, si Fabrice le voyait pour la première fois, Corentin le reconnut tout de suite.
– Salut Ghislain, comment tu vas ?
Il ajouta en aparté à son ami :
– C’est le grand frère de Gwen.

Vêtu d’un sweat-shirt kaki rehaussé d’une collection de bracelets de surfeur, celui-ci répondit avec le sourire :
– Bien, j’ai pas mal de boulot à la fac. Et toi, le lycée ?
– Bien aussi. J’habite chez ma tante depuis la rentrée, ça change de la maison.
– Tu l’as dit, Tregouët est vraiment un trou paumé.

Après une courte pause, Ghislain proposa aux adolescents de l’accompagner en centre-ville.
– On pourra prendre un café, je vous invite tous les deux.

Corentin accepta immédiatement et Fabrice se sentit obligé de suivre le mouvement. Sa curiosité à l’égard de Gwenaëlle justifiait son intérêt pour l’étudiant qu’ils venaient de rencontrer.

Le petit groupe se mit en route vers la sortie du square, puis ils traversèrent les rues rennaises jusqu’à un bar situé le long de la place Machintruc. Afin de pouvoir discuter tranquillement, ils s’installèrent dans la salle où ils passèrent leur commande.

Ghislain prit un café tandis que ses compagnons optèrent, après une longue hésitation, pour des cocas. Corentin trouva le moment opportun pour faire de plus amples présentations :
– Ghis, je ne sais pas si tu as déjà entendu parler de Fabrice.
– Pourquoi ? Je devrais ?
– Fabrice est le copain de Gwen. Je pensais qu’elle t’en aurait parlé.
– Tu sais qu’elle est devenue très mystérieuse depuis septembre. Et comme je vais à la fac, j’ai moins le temps de rentrer à Tregouët le week-end.

lundi 22 novembre 2010

Chapitre 9 de Limonade - Episode 7

Sous couvert de continuer à faire des exercices de mathématiques, les deux adolescents étudièrent la feuille avec ses courbes translucides et ses détails architecturaux.
– Si c’est vraiment un dessin prophétique, il faudrait arriver à en comprendre le sens, marmonna Fabrice.
– Je sais, mais cet endroit n’a rien de normal. On dirait une ville construite dans un cristal, ça n’existe pas.
– Jusqu’à hier, je croyais que les bracelets maudits n’existaient pas non plus.

Après un moment de réflexion, l’adolescent demanda :
– Tu as fait d’autres dessins ?
– Oui. Le problème, c’est qu’ils sont tous aussi bizarres.
– Tu pourras les apporter au lycée ? J’aimerai y jeter un œil, pour voir si on trouve des choses qui permettent de les relier au monde réel.

Corentin réprima son envie de lui dire d’abandonner, il avait déjà étudié le moindre trait de ses dessins, en vain. De plus, exposer ses créations au regard de son ami le dérangeait. Cependant, il ne pouvait refuser son aide afin d’en décrypter le sens caché.
– Tu ne préfères pas venir les voir chez ma tante, proposa-t-il.
– J’ai des trucs à faire cet aprèm. C’est mieux que tu les apportes lundi.

Il capitula et promit de s’en charger. Le soulagement de constater que Fabrice faisait preuve d’une étonnante tolérance à l’égard de ses capacités l’incita à poursuivre :
– Je ne sais pas si ça a un rapport, mais des fois, j’utilise des cartes de tarot pour trouver des trucs.
– Quels trucs ?
– Ben, le site Internet sur lequel Gwen est allée, ou alors le nom de la personne qui a dessiné les runes.
– Tu connais son nom ?

Sur cette dernière question, le ton de l’adolescent était monté d’un cran. Il s’attira un regard réprobateur de monsieur Joly, puis il fit mine de retourner à ses exercices. Corentin s’accorda à son besoin de se faire discret et murmura :
– Oui. Selon mes cartes, il s’agit de Charline Kim.
– Pas étonnant, cette fille est très bizarre.
– Il faudra qu’on aille la voir, pour lui demander si elle sait quelque chose sur Gwen…

La fin de sa phrase disparut dans les premiers hurlements de la sonnerie.

vendredi 19 novembre 2010

Chapitre 9 de Limonade - Episode 6

Quand leur professeur revint vers le fond de la salle, ils simulèrent une résolution d’équation particulièrement complexe. Cependant, l’esprit de Corentin était libéré d’une part importante de ces préoccupations. Peu à peu, il laissa les explications de son compagnon prendre la place laissée par ses inquiétudes.

Au bout d’une demi-heure de travail sous la supervision de Fabrice, il réussit non seulement à résoudre les problèmes sur lesquels il bloquait la veille, mais à comprendre le mécanisme à appliquer quel que soit l’énoncé de l’exercice.
– Tu veux passer aux fonctions, ou tu estimes que tu as assez travaillé pour aujourd’hui ?
– Les fonctions, c’est le prochain chapitre ?
– Oui, comme ça tu pourras prendre de l’avance et comprendre le cours.

La perspective de continuer à étudier les mathématiques n’avait rien de réjouissant, néanmoins il préférait encore ces exercices à une conversation sur les pouvoirs qu’il commençait à développer. Pourtant, il savait que ces explications devaient avoir lieu s’il voulait conserver l’amitié de Fabrice.
– On regarde juste le cours, j’aurais des choses à te dire après.
– D’acc.

Les pages couvertes de graphiques et d’équations défilèrent bien trop vite au goût de Corentin. Lorsqu’il atteignit la dernière page, il n’avait pas la moindre idée de la manière dont il allait présenter les choses à son ami. Ce dernier avait cessé le regarder le livre pour le dévisager, une lueur d’interrogation au fond de ses yeux bruns.

Afin d’avoir un élément sur lequel il puisse s’appuyer, l’adolescent ressortit le dessin qu’il avait achevé le mercredi soir.
– Avant que je n’essaye de t’exorciser, déclara-t-il, la seule chose bizarre chez moi, c’était mes dessins.

Ces paroles obligèrent Fabrice à concentrer son attention sur les tours cristallines et leur prisonnier, puis il s’exclama :
– Mais, c’est moi !
– Oui, et le pire, c’est que je ne sais même pas pourquoi c’est toi que j’ai dessiné.
– Tu veux dire que tu ne sais pas ce que tu fais ?

La grimace qu’il esquissa était éloquente, il précisa néanmoins :
– J’ai évité de dessiner pendant des années parce que je croyais que si mon dessin représentait un malheur, ce malheur allait arriver.
– Et maintenant ?
– Maintenant, je n’ai aucune idée de ce que mes dessins veulent dire, mais je pense qu’ils ont la même faculté.
– Celle de prédire les catastrophes ?

La façon beaucoup plus positive que Fabrice avait de voir la situation lui arracha un sourire. Celui-ci avait peut-être raison à propos de ses dessins, ce qui attisait son espoir de porter secours à Gwenaëlle.

mercredi 17 novembre 2010

Chapitre 9 de Limonade - Episode 5

Alors qu’il relisait ses brouillons d’exercices, le professeur vient à la rencontre de Fabrice. Celui-ci sortit une feuille pliée en quatre de son sac et demanda :
– J’ai essayé de faire des exercices avec les intégrales, mais je bloque sur les suites infinies.

Le contenu de cette question échappa complètement à Corentin qui replongea dans ses résolutions d’équations. Il entendit à peine le professeur passer à côté de lui, puis, voyant qu’il travaillait, aller s’occuper d’une élève au premier rang.
– Tu as besoin d’un coup de main ? proposa Fabrice.
– Tu n’as pas des exercices à faire, toi aussi.

Son ami sourit et désigna le titre de son livre : Algèbre et analyse.
– Ce n’est pas au programme du bac, précisa-t-il. Je viens ici quand il y a des trucs que je ne comprends pas.

Leur bavardage attira l’attention du responsable du cours qui leur jeta un regard sévère. Fabrice répondit aussitôt :
– Je vais l’aider pour les…
– Équations du premier degré, continua Corentin.

Ayant obtenu l’autorisation de travailler ensemble, les deux adolescents rapprochèrent leurs bureaux.
– Alors comme ça, tu galères avec les équations du premier degré ? demanda Fabrice sur un ton ironique qui échappa à son interlocuteur.
– Oui, j’ai jamais été bon en maths. J’y comprends rien.

Le regard désespéré qui accompagnait ce constat suscita en réponse un sourire moqueur.
– Maintenant, tu sais comment je me sens face à toutes ces histoires de magie et des sortilèges.

Cette remarque raviva les inquiétudes de Corentin. Néanmoins, l’attitude de son ami ne trahissait ni peur, ni méchanceté, juste un détachement de façade qui lui permettait de ne pas perdre pied.
– Si ça peut te rassurer, j’en suis à peu près au moins point que toi. Je n’avais aucune idée de ce que je faisais quand je t’ai exorcisé.
– Ça ne me rassure pas du tout, murmura Fabrice, le nez dans le livre de mathématiques de seconde.
– Je suis désolé.

Bien que ces excuses ne soient pas les premières que l’adolescent ait prononcées, elles reflétaient une intensité et une sincérité qui les mirent tous deux mal à l’aise.

lundi 15 novembre 2010

Chapitre 9 de Limonade - Episode 4

Le manque d’habitude rendit son lever du samedi matin encore plus difficile que durant la semaine. Dans un demi-sommeil, Corentin manqua de s’ébouillanter en prenant sa douche, puis d’enfiler son T-shirt à l’envers. Par chance, sa tante intervint lors du petit-déjeuner afin de lui éviter de dévaster la cuisine en agissant comme un zombi.

Il réussit à prendre l’un des rares autobus du week-end qui allaient dans la bonne direction et arriva devant un lycée presque désert. Seule une minorité d’élèves avaient cours le samedi, ce qui expliquait le silence qui régnait dans les couloirs.

L’adolescent se dirigea vers la salle de classe dévolue au cours de soutien en mathématiques avec la mine d’un condamné. Une dizaine de lycéens de toutes classes se trouvaient là, tous avaient les mêmes cernes et la même lueur maussade au fond des yeux. Comme il ne reconnut personne, Corentin s’installa au dernier rang et sortit ses affaires.

Au milieu des feuilles d’exercices à peine gribouillées, il découvrit la feuille sur laquelle il avait représenté Fabrice prisonnier du labyrinthe cristallin.
– Bienvenue à vous tous, commença le professeur tandis qu’il rangeait précipitamment son dessin. Pour ceux qui ne connaissent pas encore ce cours de soutien, je vais expliquer son fonctionnement. J’ai remis à chacun de vous une liste d’exercices à préparer. J’espère que vous y avez travaillé, car je vais à présent passer vérifier votre travail et, plus important encore, répondre à vos questions.

Monsieur Joly venait de terminer ses explications lorsque la porte située au fond de la classe s’entrouvrit. Alerté par le grincement de la poignée, Corentin eut la surprise de voir Fabrice se glisser dans la salle.
– Salut, murmura-t-il avant de s’installer à côté de lui.

Sa présence ne constituait pas une réelle surprise, compte tenu de sa réputation d’élève agité. Néanmoins, l’adolescent n’imaginait pas que son ami se rendrait volontairement à un cours de soutien.

vendredi 12 novembre 2010

Chapitre 9 de Limonade - Episode 3

Il paya le prix de sa tranquillité, ou de sa lâcheté, à son retour chez sa tante. Dès qu’il eut passé la porte, cette dernière le soumit à un interrogatoire en règle :
– Comment c’est passé ta journée ?
– Normal. Mon prof de sciences est toujours malade, alors j’ai fait mes devoirs au lycée.
– Et Fabrice ?
– Pas vu.

Il ne s’agissait pas d’un mensonge à proprement parler, mais d’un mensonge par omission. Cependant, à en juger par l’expression qui traversa le visage d’Évelyne, elle n’en croyait pas un mot.
– Tu devrais lui parler au plus tôt. Ce n’est pas bon de rester dans l’attente. Qui sait ce qu’il pourrait imaginer si tu ne lui donne pas ta version de l’histoire ?
– Je le verrai demain, promit son neveu avant de filer dans sa chambre.

En dépit de sa promesse, il ne fit aucun effort afin de rencontrer son ami. À chaque fois qu’il y songeait, une boule d’angoisse se formait dans sa poitrine. Le vendredi s’écoula sans accroc, même s’il ne cessait d’osciller entre l’envie de suivre les recommandations de sa tante et celle de ne plus jamais adresser la parole à Fabrice.

Il surveilla néanmoins les conversations entre élèves, à l’affut de la moindre mention de son prénom ou des phénomènes magiques dont il était à l’origine. Cette méfiance lui usait les nerfs, mais il redoutait davantage de se confronter au possible auteur des rumeurs qu’il craignait de surprendre.

Le soir même, au lieu de préparer ses affaires pour renter chez ses parents, il prépara son sac et mit son réveil en marche. Il s’endormit ensuite, le regard fixé sur les étoiles fluorescentes au-dessus de son lit.

mercredi 10 novembre 2010

Chapitre 9 de Limonade - Episode 2

Il traversa couloirs et cages d’escaliers jusqu’à atteindre la salle où se déroulait son premier cours de la journée. Peu après le début de la leçon, il décrocha encore plus facilement des explications de monsieur Joly qu’Aurélien se trouvait juste derrière lui.

Lorsque le professeur lui demanda de venir à la fin de l’heure, il craignit de se voir réprimander pour son comportement de plus en plus dilettante. Au lieu de cela, celui-ci lui rappela que sa présence au cours de soutien du samedi matin était souhaitable. Corentin, qui avait déjà occulté de sa mémoire la perspective de se lever tôt une fois de plus dans la semaine, acquiesça avant de rejoindre le CDI. En début de journée, les lycéens avaient tendance à déserter les rayonnages de la bibliothèque. Il pouvait donc espérer s’y trouver au calme.

Aurélien se trouvait déjà là, penché sur son cahier de physique. Ses cheveux bruns, encore plus hirsutes que ceux de l’adolescent, dissimulaient son front jusqu’à la monture de ses lunettes. Il sourit en voyant Corentin poser ses affaires à côté de lui et demanda :
– Tu as des exercices à faire ?
– Toujours, répondit-il avec une expression mitigée.

Avec les événements qui avaient occupé son mercredi après-midi, il avait accumulé un retard dans ses devoirs qu’il convenait de rattraper au plus vite. La présence studieuse de son camarade à côté de lui l’incita à travailler plutôt que de gribouiller dans les marges de ses feuilles ou de bayer aux corneilles. Quand la sonnerie de la récréation retentit, il mettait un point final à une dissertation d’histoire.

Le reste de la journée se déroula dans un calme réconfortant. Personne ne vint l’accuser d’être un sorcier et aucun de ses professeurs n’eut la mauvaise idée de l’envoyer au tableau. De plus, Fabrice demeura invisible, même si, Corentin était forcé de l’admettre, il avait tout fait pour éviter de le croiser.

lundi 8 novembre 2010

Chapitre 9 de Limonade - Episode 1

Le lendemain matin, ce fut avec les yeux cernés et une angoisse lancinante au creux de la poitrine que Corentin se rendit au lycée. Il avait beau de se répéter en boucle les paroles rassurantes de sa tante, il ne parvenait pas à adopter une confiance sans faille envers Fabrice. Rien ne lui garantissait que ce dernier n’ait pas raconté autour de lui l’expérience à laquelle il avait été soumis la veille. Dans ce cas, l’adolescent pouvait faire une croix sur sa tranquillité et son anonymat.

Comme un rappel de sa mauvaise conscience, il aperçut Fabrice sur sa moto à quelques mètres seulement de l’entrée de l’établissement. Afin d’éviter de le croiser, il resta tapi contre un platane avec l’espoir qu’il gare son véhicule aussitôt.

Le fait qu’avoir représenté son ami dans l’une de ses étranges créations n’avait rien pour le rassurer. Jusqu’à présent, le seul personnage réel qui apparaissait dans ses dessins était Gwenaëlle. Comme s’il s’obstinait à capter les personnes auxquelles il était attaché et qui lui échappaient.

Après de longues minutes, le dos appuyé contre l’écorce rugueuse et les mains enfoncées dans les poches, Corentin prit la décision de se confronter à ses inquiétudes. Pourtant, quand il réalisa que Fabrice avait disparu, il en éprouva un sentiment fugace de soulagement. Ses résolutions s’effritèrent dès qu’il eut pénétré dans la cour.

Les gestes habituels noyèrent son impression de vivre dans un univers à la fois semblable et subtilement différent de celui du commun des mortels. Sauf qu’à présent, il disposait de justifications tangibles à ce décalage.

Désireux d’évaluer ses capacités, il s’interrogea sur une éventuelle absence de son professeur de mathématiques. Il passa ensuite en revue tous ses cours de la journée, les paupières mi-closes devant le tableau des absents. Les lycéens pressés le bousculèrent, mais il était trop concentré pour leur prêter attention.

Une fois son inventaire terminé, il ouvrit les yeux. En accord avec ses prévisions, son professeur de SVT figurait parmi les absents. Étant donné que monsieur Brésillot, le professeur en question, était malade depuis une semaine, Corentin était moyennement convaincu de l’existence de son don de prescience.

vendredi 5 novembre 2010

Pénombre n°3 : La foule

Comme je m'y étais engagée, je consacre une fois de plus l'un de mes billets d'entre chapitre au fanzine Pénombre. Pour ce troisième numéro, le thème choisi a été "La foule".

A première vue, cette thématique ne colle pas vraiment avec l'esprit féerie urbaine du fanzine. Parmi les cinq textes qui composent la partie "grouillante de monde", les auteurs semblent avoir éprouvé des difficultés à choisir entre la foule et la magie.

Si la très courte nouvelle d'Anthony Boulanger fait preuve d'une incroyable densité, "Suis-je ?" m'aurait semblée plus appropriée dans un recueil de littérature noire.

A l'opposé, Anne Goulard a brossé le voyage d'une lycéenne dans le monde étrange du "Passage éphémère". La magie et la féérie s'entremêlent sous les yeux d'une adolescente d'abord perdue, puis exploratrice. Il y a un peu de conte de fées et une pointe de Doctor Who dans cet univers. L'illustration de Maïté Nicolas qui l'accompagne ajoute encore à l'atmosphère de cette nouvelle.

Le "Transperrance" de Thomas Spok m'a laissée dubitative. De la foule, un monde très ordinaire et un sentiment d'étrangeté, mais le mélange n'a pas pris. Là aussi, le texte m'a paru plus polar que fantastique.

En dépit d'une narration complexe, j'ai vraiment apprécié la nouvelle de Michaël Moslonka. Jacquemards, le héros, est doté d'un charisme incontestable. La suite de chapitres de "Péché capital" manque peut-être de cohérence par moments, heureusement que la chute met tout cela en ordre.

La partie athématique se compose de deux nouvelles. Elle commence par "En scène et en coulisse", un texte de Rémi Billoir qui est désormais un familier des publications de Transition. Une touche de fantastique, légère et exploitée avec talent, donne à cette fable politique un relief inattendu. Un gros coup de cœur pour le duo Paul-Chirine dont la relation cynique est délectable.

"Indicible !", la contribution de Jacques Fuentealba, apporte une dernière touche de noirceur à ce numéro de Pénombre. Il faut néanmoins reconnaître que cette noirceur suinte de sang et de terreur, comme une nouvelle de Lovecraft. La narration à la première personne accentue encore cette ressemblance.

Les textes qui composent ce fanzine sont plus sombres et moins portés sur la féerie que dans les deux précédents opus. La forte présence de certaines nouvelles accentue ce déséquilibre, mais l'ensemble reste agréable. Je déplore cependant que le thème de la foule n'ait pas été abordé d'un point de vue fantastique.

Hormis la très belle quatrième de couverture, l'illustration noir et blanc de Maïté Nicolas et le carnaval en couleur de Ladyyvi, le niveau des graphisme reste constant.

mercredi 3 novembre 2010

Un logotype pour Limonade

Une fois n'est pas coutume, je vais faire un teaser graphique. Dans le cadre du passage de Limonade au format ++, miss Vilie s'est chargée de réaliser un logotype personnalisé.


Entre la police sobre et la rondelle de citron colorée, je trouve que le rendu est très réussi. Bon, il y aura sûrement des ajustements à faire par la suite, mais ça avance.

lundi 1 novembre 2010

La proie - Teaser

En ce pluvieux jour la Toussaint, j'ai décidé de mettre un teaser pour une nouvelle qui n'est pas de moi. Néanmoins, la nouvelle colle avec l'esprit de Limonade.

"À chaque fois que ses semelles touchaient le sol, le sac de Fanny battait contre son dos. Elle ignora la douleur causée par la reliure de son livre de français et ses poumons en feu. Pourquoi fallait-il que son réveil soit resté muet un mardi matin ?

Elle accéléra encore sur les derniers mètres, puis écrasa le bouton qui commandait l’ouverture de la porte d’autobus. Le chuintement pneumatique résonna à ses oreilles comme une délivrance ; elle se hâta de s’engouffrer à l’intérieur. Écarlate et à bout de souffle, elle se faufila jusqu’au fond du véhicule pour trouver une place assise.

Avec un soupir, elle se laissa tomber sur la moquette bleue des sièges de la compagnie de transport. La trop faible épaisseur de rembourrage réveilla la douleur tapie dans ses vertèbres. Afin de s’installer plus confortablement, Fanny retira son sac et le posa sur ses genoux. Elle en profita pour prendre le tube de gloss et le miroir qui ne la quittaient jamais.

Comme elle le craignait, ses joues avaient pris une teinte rouge vif et, sans maquillage, ses yeux noisette ne ressortaient pas du tout sur la peau mate. Elle déplora aussi sa course, car ses cheveux d’un brun terne évoquaient une crinière hirsute. Après avoir coloré ses lèvres de rose pailleté, elle rangea ses affaires et commença à détailler les occupants de l’autobus."

Pour ceux qui en auraient déjà entendu parlé, il s'agit de la nouvelle que j'avais présenté de la façon suivante :
Suivre un garçon que l’on ne connait pas présente toujours un risque. Pas forcément parce que le garçon à plus de métal et d’encre dans la peau qu’un musicien de rock, mais parce qu’on ignore où il va…