vendredi 26 février 2010

Pénombre n°1 : Passages cloutés

Le mois dernier, j'avais chroniqué le premier numéro du fanzine Éveil. Je m'attaque à présent à Pénombre, son sombre jumeau, avec enthousiasme.

A la lecture du sommaire, je constate qu'il est déjà plus fourni qu'Éveil. Ce ne sont pas moins de 9 textes qui y figurent. Les illustrations sont plus rares, mais d'une qualité nettement supérieure.

La partie consacrée aux passages cloutés commence avec "Un sourire éclatant". Elle relate l'observation très attentive d'un étrange passage clouté parisien par Anthony Boulanger. Cette lecture courte et efficace est parfaite pour se plonger dans les méandres des bandes blanches.

Vient ensuite le texte de Frédéric Vasseur, "Initiation" qui raconte la rencontre surnaturelle qu'inattendue faite par un enfant s'apprêtant à pénétrer dans une maison abandonnée. Seul bémol à cette histoire plaisante, la fin que j'ai trouvé décalée par rapport au reste.

Dans la "Voie du changement", David Baquaise nous emmène à Tokyo, sur les pas d'un cadre au bord de la déprime. Si la situation de départ peut faire penser à un cliché, l'écriture réaliste de l'auteur lui apporte une dimension à la fois vivante et angoissante. Si le reste du fanzine n'avait pas révélé une (presque) surprise, ce texte aurait eu ma préférence.

Changement de décor complet puisque Vanessa Terral nous dévoille les secrets emprisonnés sous trois lignes de peinture blanche dans son poème "Amout-sous-Nîmes".

Le retour à un fantastique sombre et enfantin se fait avec "L'ensorceleuse des ruelles" d'Ella Witzler. Cette nouvelles est l'illustration parfaite de ce à quoi je m'attendais en ouvrant le fanzine, une fable urbaine douce-amère. Le titre laisse soupçonner un point de basculement tragique, mais la conclusion reste surprenante.

La partie consacrée aux passages cloutés se conclut par "Un grain de sable dans la mécanique", la presque surprise dont je parlais plus haut. J'ai commencé ce texte avec un double a-priori positif, le titre à rallonge et l'auteur, David Osmay, dont j'ai déjà entendu parler. Je n'ai pas été déçue, l'idée à la base de la nouvelle est absurde et tellement bien trouvée. Les personnages collent au sujet tout en apportant un twist amusant et morbide. Un régal, vraiment...

Pour la partie athématique, c'est Yohan Vasse qui nous livre la vision d'une demoiselle vampire en plein dans un Central Park nocturne dans "Echo(s)". C'est du classique qui se laisse lire avec une pointe d'hallucination macabre pas déplaisante vu le thème choisi.

Les "Notes croisées" de Naya Bié racontent les deux visions d'une rencontre vouée à changer la face du monde. Un peu déroutante sur les premiers paragraphes, cette nouvelle se révèle en fin de compte envoutante.

Le titre de la nouvelle de Sophie Percevault, "Loup-garou, magicien et araignée" ne fait pas mystère de son contenu. Cette histoire, quoique agréable, ne me laissera pas un souvenir impérissable.

J'avais envie de parler des illustrations qui accompagnent les nouvelles et plus particulièrement de celles de Samuel Desche. Non seulement elles s'accordent au texte, mais les touches de couleur qu'elles apportent sont les bienvenues.

A part les (rares) coquilles pour lesquelles Vanessa s'est déjà moult fois excusée, la mise en page est toujours aussi nickel.

Le thème du numéro 2 est : "Toits et greniers". A l'heure actuelle, il attend sagement dans ma pile à lire que je prenne le temps de le commenter.

mercredi 24 février 2010

Chapitre 2 de Limonade - The end

Voici venir le traditionnel billet de fin de chapitre.

Étant donné que les messages sont ordonnés du plus ancien au plus récent, il vous permet d'accéder directement au début du chapitre. Pour lire le premier épisode, c'est donc ici.

Et voici aussi, la traditionnelle pause entre deux chapitres. Depuis la fin du mois de janvier, j'ai trouvé de nouvelles choses à raconter, des livres et des fanzines à chroniquer.

lundi 22 février 2010

Chapitre 2 de Limonade - Episode 11

Plutôt que d’inventer une excuse abracadabrante, il opta pour la vérité :
— Je n’en ai pas parlé parce que c’est le samedi. Je ne peux pas y aller vu que je reviens ici.
— Il te faut faire des sacrifices si tu ne veux pas avoir les mêmes problèmes que l’an dernier. Tu resteras chez ta tante le week-end jusqu’à ce que tes notes repassent au-dessus de douze.
— D’accord.

Corentin était incapable de répondre autre chose. Le mot sacrifice dans les paroles de son père l’avait choqué. Il connaissait l’importance accordée aux études pour ses parents, mais rien ne laissait présager qu’ils iraient jusqu’à lui imposer un éloignement de la maison familiale.

S’il n’avait eu aussi faim, il serait volontiers monté dans sa chambre avant la fin du dîner. Il se contenta de ne plus décrocher un mot jusqu’à la dernière cuillerée de yaourt.

Alors que ses parents prirent place dans le canapé avec son frère, Corentin retourna dans sa chambre. Ses vêtements, propres et bien pliés, étaient posés sur son lit. En prévision du lendemain, il les rangea dans son sac, puis il y ajouta ses livres préférés et son matériel de dessin.

D’un regard circulaire, il balaya la pièce à la recherche des objets qu’il souhaitait emporter avec lui. Il tassa l’ours mauve par-dessus les crayons d’aquarelle. Ensuite, il ôta ses chaussures et monta sur sa chaise. Avec précaution, il décolla les étoiles fluorescentes du plafond pour les glisser dans sa trousse.

Après un dernier regard à sa chambre, il se dit qu’en fin de compte, il lui faudrait remercier son professeur. À présent, il ne serait plus contraint de subir ces week-ends moroses dans une famille qui, manifestement, ne voulait plus de lui.

vendredi 19 février 2010

Chapitre 2 de Limonade - Episode 10

La fin du dimanche après-midi était le moment que Corentin haïssait le plus. Il avait passé tout son temps à gribouiller et à tenter d’expliquer le revirement dans l’attitude de Gwenaëlle. Une fois de plus, il serait obligé de faire ses devoirs dans le train qui le ramerait à Rennes.

Le dîner ne s’annonçait pas sous les meilleurs auspices. L’adolescent appréhendait le moment où ses parents, inquiets de son mutisme, le questionneraient sans relâche. Entre sa rencontre avec Fabrice, les bizarreries de sa tante et ses résultats scolaires peu brillants, il craignait d’aborder un sujet délicat.

Conformément à ses prévisions, le gratin de courgettes n’eut pas le temps de refroidir dans son assiette que son père fit l’éloge des bonnes notes de Mathias.
— Et toi, demanda-t-il à l’ainé. Tu ne nous as toujours pas dit tes notes de la semaine.
— On nous a rien rendu.
— Tu es sûr ?
— Oui, répondit-il après une hésitation.

Le ton de Corentin manquait d’assurance. Son père lui semblait plus soupçonneux que d’habitude. Pourtant, il avait preuve de prudence et fait disparaitre toute trace des devoirs compromettants.
— Tu peux m’expliquer ce mot de M. Joly dans ton carnet. C’est ton professeur de mathématiques, il me semble.
Cette information était exacte, mais il ne voyait pas à quoi son père faisait référence. Ce dernier, devant l’air ahuri de son fils, poursuivit :
— Le mot dans ton carnet où il propose de te donner des cours de soutien le samedi matin.

L’image de son professeur de mathématique en train d’écrire dans son carnet de correspondance lui revint brutalement en mémoire. Il se souvenait surtout du ton aimable et conciliant qu’avait employé Joly pour lui suggérer de se rendre à ces cours supplémentaires.

mercredi 17 février 2010

Chapitre 2 de Limonade - Episode 9

L’échange des récits onirique avait été un de leurs passe-temps préférés au collège, jusqu’à ce que Gwenaëlle s’intéresse aux fées et aux lutins. Redevenu attentif, Corentin la pria de continuer.
— J’étais dans le laboratoire de chimie qu’il y a au lycée, toute seule. J’essayai de lire les choses marquées sur le tableau, mais c’était une écriture très bizarre et j’avais beaucoup de mal.
— Ensuite ?
— J’ai pris un bécher qui était sur le bureau, j’ai prélevé un peu de poudre que j’ai mise dans un tube à essai. J’ai fait pareil avec le liquide d’un flacon marron, j’ai secoué, puis j’ai mis le tube à chauffer.

Ce qu’elle était en train de raconter ressemblait fortement à une expérience de chimie. Cette matière venait de faire son apparition dans leur emploi du temps, avec son lot de nouveau matériel et de combats d’eau distillée.
— Tu te souviens d’autre chose, à propos de ton rêve ?
— Oui, sur l’un des flacons l’étiquette disait : tourmentine. C’est un nom bizarre pour un produit chimique ?
— Oui, surtout que c’était dans ton livre sur les fées. Je me souviens que c’est une plante très moche qui égare les gens qui la croisent. On l’appelle aussi herbe d’oubli. Enfin, je crois…

Gwenaëlle semblait très dubitative.
— Je ne me souviens pas de cette plante, ni du livre dont tu parles. Tu penses que ça a un rapport avec mon rêve ?
— Sûrement, si tu l’as lu pendant ton sommeil.

Ce fut au tour de la jeune fille d’être perdue dans ses pensées. Son rêve l’intriguait, il était trop ordinaire et trop précis.

La matinée passa sans que l’un d’eux trouve un sujet de conversation assez prenant pour dissiper leurs interrogations respectives. Ils retournèrent donc chacun dans leurs familles après s’être promis de se retrouver à la gare le lundi matin.

lundi 15 février 2010

Chapitre 2 de Limonade - Episode 8

Les suivants à faire les frais de ses remarques acerbes furent les plus anciens professeurs de son lycée, surnommés les trois Parques.
— Pourquoi vous les appelez comme ça ?
— Tu ne connais pas les trois fileuses de vie de la mythologie grecque ?
— Non.

Elle leva les yeux au ciel et expliqua, sur un ton quelque peu prétentieux, qui était les Parques.
— Ce sont trois très vieilles femmes, elles s’occupent du fil de la vie et du destin. Il y a Clotho, Lachésis et Atropos.
— Quel est le rapport avec tes profs ?
— Ils sont trois, ils sont vieux et tout le monde les déteste.

Les nouvelles connaissances de la jeune fille en mythologie surprirent Corentin. Déboussolé par ce changement, il lui demanda si elle s’était fait de nouveaux amis, espérant qu’elle aborderait sa relation avec Fabrice.
— Pour le moment non, j’ai discuté avec la fille qui partage ma chambre, mais elle niaise. Il y une autre fille qui est dans ma classe. Elle est plutôt intelligente, mais c’est une vraie pimbêche.
— Elle s’appelle comment ?
— Émilie.
Le lien entre l’amie dont sa tante avait parlé et cette pimbêche s’imposa à son esprit. Pourtant, le portrait que Gwenaëlle en faisait ne correspondait pas avec celui d’une amie.

Cette discussion avait quelque chose d’étrange. L’adolescent ne parvenait pas identifier la source de cette impression. Il essaya de le mettre de côté afin de profiter de cette agréable matinée avec son amie, mais rien n’y fit.
— J’ai fait un drôle de rêve cette nuit, commença-t-elle.

vendredi 12 février 2010

Chapitre 2 de Limonade - Episode 7

Fidèle à son habitude, Gwenaëlle escalada les premières branches et se hissa sur une large fourche. Lorsque son ami la rejoignit avec quelques difficultés, elle éclata de rire :
— Tu as peut-être grandi, mais je reste la plus agile.
L’adolescent ne répondit rien. Il se contenta de tendre la main pour récolter une poignée de feuilles qu’il fait glisser sur ses cheveux.

Elle couina en peignant sa queue de cheval, puis se remit à rire.
— Je suis contente de revenir ici, ça change complètement du lycée.
— Pourtant, toi au moins tu n’es pas en centre-ville. Tu vois de vrais arbres par la fenêtre.
Elle soupira.
— Je ne parlais pas de la forêt, ce qui me manque c’est le calme. Avec l’internat, je suis tout le temps entourée d’autres filles. À la longue, c’est saoulant. Et puis leurs uniformes sont nuls, la jupe est ringarde et le blazer gratte.

Corentin compatit, ce qui eut pour effet d’ouvrir les vannes du ressentiment de la jeune fille. Elle détestait les vieux bâtiments de son lycée, ceux dont le parquet grinçait, les fenêtres laissaient passer les courants d’air et l’escalier en colimaçon ne permettait pas de se croiser.
— Heureusement qu’il fait encore doux, mais cet hiver, avec les plafonds super hauts, on va se geler. Le pire, c’est que les nouvelles salles sont encore en construction. Ils n’auront pas terminé avant le printemps.

Après les locaux, Gwenaëlle s’attaqua aux professeurs. Elle traita l’adjointe du proviseur de vieille bique affublée de lunettes aux montures dorées. Ce détail vestimentaire servait de catalyseur à sa hargne. L’adolescent était persuadé d’avoir déjà entendu ces moqueries. Cependant, il garda le silence afin de ne pas entacher leurs retrouvailles de commentaires stériles.

mercredi 10 février 2010

Chapitre 2 de Limonade - Episode 6

Gwenaëlle en avait profité pour prendre de l’avance. Sa silhouette menue commençait déjà à rétrécir tout au bout de la route. Corentin ne la reconnut que grâce à sa queue de cheval blonde et au cadre rouge métallisé de son vélo.

Elle aussi semblait avoir grandi. Son pantalon de sport remontait sur ses chevilles et sa veste découvrait ses poignets. Pourtant, elle ne semblait pas se préoccuper de son apparence. Ce détachement ne correspondait pas avec l’attitude de jeune fille élégante qu’elle affectait les rares fois où il l’avait croisé.

À sa décharge, l’uniforme imposé par l’établissement qu’elle fréquentait se composait d’une jupe plissée et un chemisier des plus classiques. La fantaisie et le laisser-aller vestimentaire étaient sévèrement réprimés dans son lycée catholique.

En essayant de la rattraper, Corentin se rendit compte qu’elle n’avait rien perdu de son coup de pédale. Il ne réussit à la dépasser que lorsqu’ils arrivèrent en lisière du bois de Guibenais. C’était là qu’ils avaient pris l’habitude de faire leurs promenades à vélo.

Malheureusement pour leurs vêtements, la pluie avait transformé les sentiers forestiers en bourbiers. Chacune des roues soulevait une gerbe de particules de terre, quand ils ne roulaient pas dans une flaque. Plutôt que de pédaler dans la boue, les deux adolescents quittèrent le sentier pour s’aventurer entre les arbres.

Le bruit des feuilles et des brindilles écrasées remplaça celui des éclaboussures. Arrivé en bordure d’une clairière, Corentin ralentit. Derrière lui Gwenaëlle s’arrêta carrément et coucha son vélo sur un buisson. Elle se dirigea alors vers l’arbre qui occupait le centre de la clairière.

Corentin l’y rejoignit juste après. Cet arbre avait été leur théâtre de jeu quand ils éprouvaient le besoin de s’éloigner de leurs familles respectives. Ils y avaient construit une cabane de planches, mais le vent l’avait arrachée depuis longtemps.

lundi 8 février 2010

Chapitre 2 de Limonade - Episode 5

Ce fut le soleil filtrant de sous les volets qui réveillèrent Corentin. Il se retourna afin d’échapper aux rayons, mais finit par abandonner ses envies de grasse matinée et quitter la tiédeur de sa couette. Un rapide calcul basé sur l’heure qu’indiquait son réveil lui apprit qu’il avait dormi près de douze heures.

Une sensation lancinante au creux de l’estomac lui rappela qu’il n’avait rien mangé depuis le déjeuner de la veille. Il descendit donc dans la cuisine avec l’espoir que Mathias, son jeune frère, n’ait pas mangé tous les biscuits.

L’adolescent affamé eut la surprise de trouver la cuisine vide et le paquet de cookies plein. Par la fenêtre, il aperçut son père en train de désherber le potager. Avant d’aller le voir, Corentin préféra faire un sort aux biscuits qu’il accompagna de lait froid.

Après avoir enfilé les premiers vêtements qui lui tombèrent sous la main, il sortit de la maison. À peine était-il arrivé dans le jardin qu’une sonnette de vélo tinta à l’autre bout de l’allée. Surpris, il vit Gwenaëlle pédaler furieusement dans sa direction.

Pour la première fois depuis la fin des grandes vacances, elle venait le voir avec son VTT. Cependant, elle l’interpella comme s’ils s’étaient quittés la veille :
— Corentin ! Tu as le temps pour une ballade à vélo ?
— Oui, balbutia-t-il incrédule.

Ses souhaits venaient d’être exhaussés : son amie était redevenue elle-même. Il se hâta d’aller décrocher son propre VTT pendu dans le garage et de la rejoindre.

vendredi 5 février 2010

Chapitre 2 de Limonade - Episode 4

Après avoir échangé brièvement sur les dernières nouvelles, un lourd silence s’installa dans la voiture. Depuis son départ de la maison, un fossé s’était creusé entre Corentin et sa famille restée à Trégouët. Jamais il n’aurait songé à leur parler de ses étranges dessins ou du comportement de Gwenaëlle. Il ne lui restait alors que le quotidien morne de son lycée rennais et ses résultats scolaires pas aussi brillants que ses parents le souhaiteraient.

Plutôt que devoir raconter une seconde fois sa semaine, en prenant soin de ne pas mentionner qu’il avait essayé d’exorciser un autre lycéen, il prétexta une grande fatigue pour monter directement se coucher. Il n’eut pas besoin de faire preuve de grands talents de comédien. Il était effectivement très fatigué. Sa croissance accélérée l’épuisait et les rêveries dont émergeaient ses dessins le rendaient apathique.

Dans le cadre familier de sa chambre, il ne lui fallut pas longtemps avant de trouver le sommeil. Les étoiles en pâte fluorescente qu’il avait collées au plafond veillaient sur lui de leur luminescence jaunâtre. Autour de lui, les ombres familières de son dragon en plastique et du vilain ours mauve offert par Gwenaëlle trois ans auparavant le protégèrent des mauvais songes.

mercredi 3 février 2010

Chapitre 2 de Limonade - Episode 3

Il s’était tenu à sa restriction de ne dessiner que des objets réels jusqu’à la rentrée. Lorsque Gwen, qui était son principal modèle, disparut, il avait commencé à voir des serpents apparaître sous la pointe de son crayon. Il y en avait d’abord eu un gros et un petit, mais plus les semaines passaient, plus le petit serpent prenait de l’ampleur.

Corentin avait le sentiment que ce qui arrivait à Gwenaëlle était lié à ces serpents. À force d’être muselée, son imagination s’était forgé des codes qu’il était incapable de comprendre. Il s’était donc rabattu sur le peu d’explications logiques dont il disposait pour expliquer l’attitude de son amie.

Bien qu’elle ne soit pas allée dans le même lycée que lui, il avait entendu des rumeurs à son sujet. Celles-ci faisaient état de sa relation avec Fabrice. L’adolescent en avait déduit naïvement que Fabrice était partie intégrante de l’histoire de magie dont Gwenaëlle lui avait parlé.

Toutes les théories qu’il avait échafaudées à propos de ce garçon étaient tombées à l’eau quand sa tentative d’exorcisme avait échoué. Fabrice n’avait rien d’un adepte de la magie noire ; son comportement face aux manifestations bizarres qui avaient eu lieu chez sa tante en était une preuve suffisante.

Il était encore trop tôt pour que Corentin sache s’il serait un allié fiable. Après tout, il ne s’était pas manifesté au cours de la fin de la semaine. Avant que l’adolescent n’ait le temps d’approfondir ses réflexions, le break vert sombre conduit par son père déboucha sur le parking. Pressé de rentrer chez lui, il sortit en trombe de la gare et sauta dans le véhicule.

lundi 1 février 2010

Chapitre 2 de Limonade - Episode 2

Lorsqu’il était à la maternelle, il avait représenté la maison d’un autre enfant de sa classe en proie aux flammes. La maitresse lui avait trouvé une grande capacité d’imagination qu’elle attribua à la télévision. Il lui expliqua alors que cette image était dans sa tête et pas dans l’écran, mais elle n’y prêta pas attention.

L’incendie représenté dans le dessin eut lieu la nuit suivante. La maison fut totalement dévastée par les flammes et ce fut un miracle que personne ne meure. Cependant, son petit camarade souffrait d’une intoxication à la fumée. Il dut passer une semaine entière à l’hôpital.

Corentin fut le seul à faire le lien entre cet incident et le dessin qu’il avait réalisé. Cette sinistre concordance lui inspira d’autant plus de peur qu’il appréciait beaucoup le garçon qui en avait été victime. Ne comprenant pas les forces qui étaient en jeu, il s’imagina être responsable de l’incendie. La crainte de provoquer à nouveau des incidents de ce type le poussa à s’isoler des autres enfants et à garder le secret sur ses pressentiments.

La seule et unique personne avec laquelle il se lia durant son enfance était Gwenaëlle. Après avoir vu quelques gribouillages, elle le supplia de dessiner pour elle. Elle insista tant et si bien qu’il finit par céder, mais il se limita à ne représenter que des objets réels.

Encouragée par son amie, sa passion pour le dessin ne fit que croître au cours des années. Il en vint même à acquérir une grande habileté à représenter le monde qui l’entourait. Au fil des années, il était devenu le garçon qui dessine au fond de la classe. Ses années de solitude forcée l’avaient rendu transparent et seule son habileté à manier le crayon lui évitait de sombrer dans l’invisibilité la plus totale.