lundi 31 janvier 2011

Chapitre 11 de Limonade - Episode 7

Gwenaëlle baissa les yeux sur le sable, puis acquiesça. Les toutes premières lignes qui étaient apparues l’accusaient, mais elles étaient désormais invisibles. Cela pouvait signifier qu’une magie supérieure à la sienne avait détruit son œuvre, ou qu’elle bénéficiait d’une chance insolente.

Le reste du dessin se tordait sous l’effet de pouvoirs variés, sans permettre d’en dégager un schéma précis. Aussi, elle demanda :
– Tu as trouvé la réponse que tu cherchais ?

Le silence de son interlocutrice équivalait à une dénégation. Elle retira le socle et faillit le jeter à terre de rage ; un bruit métallique résonna dans la salle. Pourtant, Anne-Sophie ne distingua guère plus de signes d’une quelconque infraction aux règles du convent.

La jeune fille la laissa s’user les yeux sur le sable grisâtre. À présent plus sereines, ses pensées revinrent sur le visage de Corentin dans la coupe de divination. La question qu’elle avait posée à l’élixir ne contenait aucune ambigüité, mais elle éprouvait le besoin de s’en assurer.

Plutôt que de prendre le risque de préparer une nouvelle potion, elle décida de trouver la première occasion pour lui parler de Fabrice. Au cas où la rupture du sortilège qu’il avait opérée serait involontaire, elle devrait faire preuve d’astuce pour lui soutirer des informations. Il n’était pas question pour elle de révéler quoi que ce soit à propos de ses activités magiques.

Ces préoccupations ramenèrent les bribes de souvenirs qu’elle conservait de sa relation avec l’adolescent. Elle avait éprouvé un agréable frisson lors des instants qu’ils avaient passés ensemble. Pourtant, elle attribuait ce bien-être à la satisfaction de damner le pion de sa rivale et non à d’éventuels sentiments pour ce garçon.

La perte de l’emprise qu’elle maintenait sur lui représentait néanmoins un affront à ses talents de magicienne qu’elle n’envisageait pas une seule seconde de laisser impunie. Le fait que Corentin soit parvenu à briser le sortilège l’intriguait tout autant qu’il la contrariait.

vendredi 28 janvier 2011

Chapitre 11 de Limonade - Episode 6

Tout au fond du couloir, une salle de dimensions modestes avait été réservée au cours d’approfondissement en histoire. Précédée d’Anne-So, la jeune fille y pénétra avec une boule d’inquiétude au fond de la gorge.

Les tables, rassemblées au centre de la pièce, étaient surmontées d’un pendule monté sur un socle de métal argenté. Cet objet était employé lors de séances collectives, pourtant aucune des autres membres du convent n’était présente. Gwenaëlle s’en inquiéta :
– Où sont les filles ?
– J’ai quelque chose à vérifier avant de les faire monter.

Cette fois, la voix de son interlocutrice avait perdu toute trace d’amabilité. De moins en moins à son aise, la jeune fille s’assit. Elle fit semblant de lisser les plis de sa jupe afin d’essuyer ses paumes humides contre ses cuisses. Anne-So prit place à son tour devant le pendule, puis annonça :
– J’ai appris que tu as utilisé un envoutement afin de manipuler un être humain.
– Ce sont des mensonges ! s’exclama Gwen avec tous les accents de vérité possibles.
– C’est ce que j’ai l’intention de découvrir.

L’assurance de la terminale dissimulait en partie la certitude de sa victoire. Cependant, face à elle, Gwenaëlle ne s’avouait pas vaincue ; elle avait confiance en ses capacités.

Elle plaça ses mains sur les tiges métalliques du socle de façon exactement symétrique à celles de sa compagne. Au lieu de fermer les yeux, cette dernière les gardait grands ouverts et fixés sur elle. L’éclat qui brillait au cœur de ses iris bruns trahissait une colère qu’elle s’efforçait de dissimuler.

Cet aveu involontaire réjouit la jeune sorcière. Elle avait visé juste en ensorcelant Fabrice ; la colère affaiblissait sa rivale. Pourtant, lorsque le cristal de roche s’anima, elle réprima un frisson. Les premières lignes que le pendule traça dans le sable blanc reflétaient des perturbations magiques. Elle fronça les sourcils pour tâcher de les déchiffrer, mais d’autres marques se superposèrent à celles qui l’incriminaient.

À la fin de l’examen magique, le tracé était complètement embrouillé. Anne-So le contempla, perplexe.
– Il y a beaucoup d’influences très fortes autour de toi.

mercredi 26 janvier 2011

Chapitre 11 de Limonade - Episode 5

Après avoir remis en ordre le laboratoire, elles verrouillèrent la porte, d’abord avec une clé, puis avec un enchantement. Elles traversèrent ensuite la pelouse pour rejoindre les bâtiments qui abritaient les classes. Le gravier de la cour crissa sous les semelles souples de leurs mocassins.

Sans s’en rendre compte, Gwenaëlle trainait des pieds ; elle tâchait de deviner la raison de cette convocation. Plutôt que se ronger les sangs, elle évoqua une possibilité :
– Le professeur a demandé à me parler ?
– Non, pas encore.

Cette réponse sèche laissait planer une désagréable menace, ce qui incita la jeune fille à ralentir le pas. Dans la poche de son blazer, elle effleura le cristal que lui avait confié le professeur. Grâce à celui-ci, elle serait en mesure de lancer un unique sort. Ses pouvoirs étaient encore trop faibles pour lui permettre de se passer de ce support magique, mais son maître lui avait assuré qu’elle deviendrait vite autonome.

La confiance qu’il lui témoignait apaisa ses inquiétudes ; Anne-Sophie n’oserait pas s’en prendre directement à elle. Pour cela, elle serait d’abord obligée de prouver qu’elle avait volontairement enfreint les lois du convent.

L’envoutement de Fabrice représentait sa seule entorse à la règle qui stipulait que l’usage de la magie était interdit dans le but de manipuler l’esprit des êtres humains. Les précautions dont elle s’était entourée afin de réaliser ce sortilège lui garantissaient qu’elle resterait dans l’ombre, même dans le cas où la magie cesserait d’opérer. Les autres sorcières ne pouvaient donc pas être au courant de son infraction.

Les deux filles gravirent les escaliers en silence jusqu’au dernier étage. Les salles qui s’y trouvaient avaient été aménagées récemment pour accroître la capacité du lycée. À la différence des autres classes, elles ne disposaient pas des hautes fenêtres qui transformaient la pièce en fournaise sous l’effet du soleil et en glacière dès les premiers frimas. Les étroites ouvertures pratiquées dans la toiture d’ardoise apportaient toute la lumière nécessaire et évitaient les regards indiscrets.

lundi 24 janvier 2011

Chapitre 11 de Limonade - Episode 4

Gwenaëlle termina sa vaisselle, puis elle essuya avec soin le matériel de chimie. Son attitude désinvolte et innocente ne masquait qu’en partie l’inquiétude que la présence de la terminale suscitait chez elle. Elle s’efforça de garder le contrôle ; le professeur ne lui avait pas interdit de s’exercer à l’alchimie en dehors des heures de cours.

Après l’avoir observée des pieds à la tête, Anne-Sophie demanda :
– Tu préparais une potion ?
– Oui, j’avais besoin d’un élixir de vision.
– Pourquoi faire ?

Plutôt que de répondre directement, la jeune fille prit un air gêné. Elle passa une main dans ses cheveux et accrocha une mèche qu’elle tritura.
– Je voulais être sûre que mon copain n’était pas avec une autre fille. Je l’ai trouvé bizarre tout à l’heure, minauda-t-elle.

Le visage de son interlocutrice se décomposa, en dépit de la maitrise qu’elle exerçait sur ses sentiments. Gwenaëlle avait vu juste en séduisant Fabrice ; les années n’avaient pas amoindri l’affection que la sorcière nourrissait pour lui.

Au prix d’un immense effort, Anne-So reprit le contrôle de ses émotions.
– Tu devrais faire plus attention. Il faut éviter de nous faire surprendre en train de faire des choses que les autres ignorent.

Une pointe de mépris transparaissait dans sa manière de prononcer « les autres ». En revanche, sa sollicitude à l’égard de Gwen étonna cette dernière. À présent qu’il y avait un garçon entre elles, elle aurait parié que la terminale lui vouerait une haine profonde.

Elle se contraignit à une amabilité de façade pour mieux dissimuler la convoitise qu’elle entretenait vis-à-vis de l’ascendant de sa rivale sur le convent.
– Personne ne vient ici après les cours.
– Ce n’est pas une raison, nous devons être très prudentes. À cause de toi, il a fallu jeter un sort à la surveillante générale.

Elle se mordit les joues pour ne pas rejeter la faute de cet incident sur Fabrice. Une fille amoureuse ne se comporterait pas ainsi et il lui fallait donner l’illusion d’une relation sincère.
– Je suis désolée, murmura-t-elle, le regard baissé sur le carrelage.
– Heureusement, ta potion d’oubli lui a effacé la mémoire. Tu es vraiment douée pour l’alchimie.

Gwenaëlle fit passer sa grimace pour un sourire ; elle pressentait que ce compliment n’était là que pour enrober une perfidie. Lorsqu’Anne-So lui annonça qu’elles devaient se rendre toutes les deux dans la salle dévolue à l’apprentissage de la magie, elle craignait déjà le pire.

vendredi 21 janvier 2011

Chapitre 11 de Limonade - Episode 3

Gwenaëlle n’eut pas le temps d’approfondir le sujet. La porte du laboratoire s’ouvrit dans un grincement épouvantable. La silhouette d’Émilie se découpa dans l’embrasure.
– Gwen, appela la nouvelle venue, aveuglée par la faible luminosité.
– Qu’est-ce qu’il y a ?

Contrariée d’être surprise à pratiquer la magie en solitaire, la jeune fille préféra dissimuler ses runes et ses graphiques. Lorsque son amie la rejoignit, tous ses accessoires magiques avaient regagné son sac. Elle profita qu’Émilie traverse une bande de lumière pour apercevoir son expression pincée.
– Anne-So est venue pour te voir, annonça cette dernière.
– Pourquoi ?
– Elle n’a rien dit, mais elle avait l’air furieuse. Elle a envoyé les deux autres à ta recherche.
– Tu lui as dit que j’étais là ?

Le ton sec de sa question encouragea une réponse rapide. Gwenaëlle se radoucit lorsque son amie lui affirma avoir gardé le secret.
– Je pense qu’elle est allée chercher son pendule. Elle ne va pas tarder à te trouver ici.
– Dans ce cas, aide-moi à tout ranger.

Les deux jeunes filles démontrèrent l’assemblage de tubes et plongèrent les récipients dans un évier plein d’eau tiède. Tandis que Gwen ajoutait du savon afin d’éliminer les résidus de potion, sa compagne remit les flacons de composants à leur place.
– Qu’est-ce que tu fabriquais ? demanda-t-elle.
– Une potion de vision.

Anticipant les interrogations suscitées par sa réponse, l’apprenti alchimiste ajouta :
– Je voulais jeter un œil à Fabrice.
– Ton petit ami ?
– Oui.
– C’est un joli garçon, approuva Émilie. Tu lui as jeté un sort ?

Les dénégations de Gwenaëlle semblèrent crédibles, car son amie n’insista pas. Elle termina sa tâche, puis revint vers elle.
– Je vais te laisser finir toute seule. Je n’aimerais pas qu’Anne-So me trouve ici.

Alors qu’Émilie traversa le laboratoire afin de rejoindre la porte, celle-ci s’ouvrit à nouveau. Elle réprima un hoquet de surprise en découvrant le visage redouté d’Anne-Sophie. Néanmoins, cette dernière ne lui accorda pas la moindre attention lorsqu’elle quitta la pièce.

mercredi 19 janvier 2011

Chapitre 11 de Limonade - Episode 2

Une fois de plus, les runes proclamèrent le même message. Gwenaëlle les remit dans leur bourse de velours, puis elle versa avec précaution le contenu du bécher dans un bol d’argent. Cet accessoire venait du matériel personnel de son professeur ; elle avait dû ruser et supplier pour en obtenir l’usage.

Les mains tremblantes à l’idée de commettre un impair lors de sa séance de divination, elle se pencha sur le bol. Un rayon de soleil frappait le métal poli et le faisait étinceler dans la pénombre du laboratoire.
– Pourquoi mon sortilège a-t-il échoué ? murmura-t-elle.

Le liquide resta transparent, ce qui indiqua que la question avait été mal formulée. Elle réfléchit quelques instants à une autre manière de découvrir la vérité ; elle n’avait droit qu’à trois tentatives. Si elle ne parvenait pas à trouver les paroles qui lui offriraient la réponse dont elle avait besoin, elle n’aurait qu’à recommencer son élixir de vision.

Afin de trouver l’inspiration, elle retira le crayon de sa chevelure et griffonna au dos des schémas runiques. Les mèches blondes qui retombèrent devant ses yeux furent impitoyablement coincées derrière ses oreilles. Une seule échappa à ce traitement ; elle l’entortilla autour de son index tandis qu’elle écrivit différentes versions de sa question.

Après cinq minutes de réflexion, elle aboutit à une possibilité déplaisante. Le hasard de la magie n’était pas responsable de la rupture du sort qui liait Fabrice à elle aussi sûrement que des chaînes. Il ne pouvait s’agir que de l’intervention d’un autre sorcier ou, si ses soupçons se confirmaient, d’une autre sorcière.
– Qui a brisé mon envoûtement ?

En réponse, le liquide qui remplissait le bol d’argent se troubla. Au lieu du visage d’Anne-Sophie qu’elle s’attendait à voir apparaître, celui d’un garçon aux cheveux courts et châtains clairs se dessina dans les méandres de l’élixir.
– Corentin ! s’exclama-t-elle sous l’effet d’une vive surprise.

Pendant une dizaine de secondes, la potion garda l’empreinte de son ami, puis la magie cessa de faire effet. La jeune fille jeta le liquide à présent trouble et inutilisable dans l’évier. La découverte qu’elle venait de faire la laissait perplexe. Elle ne parvenait pas à comprendre ce qui avait poussé le trop gentil Corentin à rompre son sortilège.

lundi 17 janvier 2011

Chapitre 11 de Limonade - Episode 1

Au fond de la pelouse qui entourait les bâtiments du pensionnat Notre-Dame, le laboratoire de chimie dressait ses quatre murs de brique surmontés d’un toit de tuiles rouges. À travers les volets clos, de minces rais de soleil striaient de lignes lumineuses le sol immaculé et les tables couvertes de carreaux de céramique.

Le chuintement à peine perceptible du gaz enflammé par le bec Bunsen faisait écho à la respiration saccadée de Gwenaëlle. Penché au-dessus de l’agitateur magnétique, son visage de poupée reflétait une intense concentration.

À l’aide d’un crayon, elle avait relevé ses cheveux blonds sur sa nuque afin qu’ils ne la gênent pas durant la préparation de son élixir. Une blouse blanche de chimie préservait son uniforme des projections verdâtres qui jaillissaient du ballon en train de chauffer. La jeune fille jeta un regard au tableau où étaient écrites les instructions pour réaliser sa potion de clairvoyance.

Conformément à la recette, elle ajouta quelques gouttes d’un liquide à l’odeur répugnante dans la mixture. Une puanteur de charogne emplit le laboratoire. Gwenaëlle fronça le nez, mais elle ne cessa pas de surveiller le mélange. À mesure que le nouvel ingrédient se dissolvait, la couleur de la potion passa d’un vert sombre à un jaune si pâle qu’il en paraissait translucide.

Satisfaite de ce changement de teinte, elle versa l’élixir dans un filtre, puis récupéra le liquide clair ainsi obtenu. Elle enclencha la hotte aspirante afin de chasser l’air vicié du laboratoire. Son bécher rempli de réactif, elle retourna sur une table voisine de celle où elle s’était adonnée à l’alchimie.

Un sachet de velours bleu nuit se trouvait sur cette paillasse, à côté de plusieurs feuilles couvertes de schémas dessinés au stylo encre. La jeune fille en sortit une douzaine de pierres gravées de runes. Elle les enferma entre ses mains jointes, puis les lâcha au-dessus du carrelage blanc. Avec des cliquetis minéraux, les pierres runiques se répandirent devant elle.

Armée de ses diagrammes d’interprétation, elle renouvela ses questionnements à propos de son petit ami. Bien qu’elle ne l’ait pas montré à ses amies, l’attitude de Fabrice lorsqu’il était venu la voir dans sa chambre l’avait surprise. Elle avait d’abord attribué ce comportement à un effet aléatoire de son envoutement.

Cependant, elle avait dû se rendre à l’évidence. Son sortilège avait cessé de faire effet sur le garçon. La lecture des runes telle qu’elle l’avait apprise au sein du cours d’approfondissement en histoire ne lui avait pas apporté de réponse précise. Les cailloux se bornaient à lui répéter que les illusions ne valaient pas les sentiments honorables.

vendredi 14 janvier 2011

Chapitre 10 de Limonade - The end

Je dois admettre que pour les mises à jour, ce chapitre à cheval sur deux années a été catastophique. Cependant, il a été l'occasion d'introduire un nouveau personnage important dans le récit.

Ma résolution pour 2011 sera, outre poursuivre l'écriture de ce roman, éviter les cafouillages comme celui survenu dans les premiers jours de janvier.

Pour commencer la lecture à partir du premier épisode du chapitre, il suffit de cliquer sur le lien.

mercredi 12 janvier 2011

Chapitre 10 de Limonade - Episode 11

Toujours sous le coup de la révélation qu’elle venait de faire, les deux garçons restèrent assis. L’espoir de tenir une piste sérieuse s’était transformé en un cul-de-sac. Fabrice retrouva le sens des réalités.
– Tu retournes en cours ?
– Non, mon prof de biologie est encore absent.
– Si seulement, mon prof de philo pouvait en faire autant.

Corentin laissa filer plusieurs secondes de silence, puis il déclara :
– Tu avais raison de croire que les filles du cours d’histoire sont bizarres.
– Je ne pensais pas qu’elles étaient bizarres à ce point. Là, ça me fiche carrément la trouille.

Sur ces mots, l’adolescent ramassa son sac qui trainait par terre et le jeta sur son épaule.
– Si je sèche encore la philo, mes parents vont péter un câble.
– Je t’accompagne.
Ils prirent le chemin du second étage. Bien qu’ils soient déjà très en retard, ils marchèrent d’un pas tranquille parmi les élèves qui se pressaient dans leurs salles de cours.

Juste avant d’entrer dans la sienne, Fabrice se retourna :
– On se voit demain.
– D’accord. A plus !

Un professeur bedonnant et dégarni claqua la porte dès qu’il fut à l’intérieur. Seul dans le couloir, Corentin fit demi-tour et se dirigea vers le portail du lycée.

La frustration qu’il éprouvait lui donnait envie de hurler de toutes ses forces. De peur de passer pour un fou, il s’abstint et se contenta d’enfoncer ses ongles dans ses paumes. Dans un brouillard de colère et de dépit, il monta dans le bus.

Pendant le trajet, il ressortit les dessins de son sac. Il voulait contempler à nouveau la métaphore de Gwenaëlle qui se transformait peu à peu en une effrayante sorcière. Cependant, ses doigts accrochèrent la cité de cristal où Fabrice était retenu prisonnier. Cette représentation énigmatique avait échappé à leurs investigations de la matinée.

D’humeur trop maussade pour avoir envie d’y réfléchir, Corentin le remit en place. Il se promit néanmoins d’en parler le lendemain à son ami. À deux, ils seraient capables d’en percer les mystères.

lundi 10 janvier 2011

Chapitre 10 de Limonade - Episode 10

Fabrice termina le premier son café. Il donna un coup de coude à Corentin qui faillit s’étrangler avec son chocolat chaud. Après une quinte de toux, ce dernier demanda :
– Comment faire pour remonter jusqu’à l’auteur du sortilège ?
– Si tu as annulé l’enchantement, c’est impossible.
– Pourquoi ?
– Contrairement aux runes, les sortilèges ne portent pas de signature. La seule manière de retrouver son auteur est de lui renvoyer l’enchantement et de le suivre à la trace.

Avant qu’il ne pose une autre question, son ami l’interrompit :
– Si on a déjà des soupçons à propos de l’auteur, est-ce possible de la retrouver ?
– Des soupçons ?
– Des candidates à l’envoutement, commença-t-il. D’ailleurs, tu les connais peut-être. Il s’agit de Gwenaëlle Genne et Anne-Sophie Noroit.

À la mention du second nom, Charline se figea. Corentin non plus n’en menait pas large ; il n’admettait toujours pas que sa meilleure amie fasse partie des suspectes. L’adolescent continua à émettre ses hypothèses :
– J’aurais bien ajouté Émilie, Audrey et Laurie dans la liste, mais elles ne s’intéressent pas à moi.

La jeune fille le regardait avec des yeux exorbités, ce qui confirma son ancienne appartenance au groupe de sorcières du pensionnat.
– Je parie que tu sais déjà qu’elles sont en pension à Notre-Dame et qu’elles fréquentent un club d’histoire.
– Ce n’est pas un club d’histoire. Kaenel leur apprend à utiliser les pouvoirs occultes.

Alors que Corentin s’apprêtait à lui réclamer des explications, la sonnerie retentit. La sorcière se leva, abandonnant son gobelet sur la table. L’adolescent la retint par la main.
– Qu’est-ce tu peux nous dire sur ce club, sur leur professeur ?
– Rien.
– Ma meilleure amie est en danger. Je dois la sortir de là !

En dépit de l’émotion qui fit poindre des larmes dans les yeux du garçon, elle demeura inflexible.
– Je ne peux pas vous aider. J’ai promis de ne jamais nuire au groupe.
– Personne ne saura que les informations viennent de toi.
– Si, Kaenel le saura. Et il me fera payer ma trahison, une fois de plus.

Sur ces paroles sinistres, Charline quitta la table. Elle se fondit dans le flot des lycéens et disparut au détour d’un couloir.

vendredi 7 janvier 2011

Chapitre 10 de Limonade - Episode 9

Après avoir récupéré leurs boissons au distributeur, les trois lycéens s’assirent autour d’une table de la cafétéria. Charline réprimait sa nervosité en touillant sans arrêt son café. Corentin non plus n’en menait pas large. Le regard anxieux de la jeune fille lui donnait l’impression de conduire un interrogatoire.

Les minutes qui défilaient sur l’horloge le poussèrent à agir ; la pause ne durait qu’un quart d’heure.
– Pourquoi as-tu gravé ces runes ?
– C’était une expérience, répondit-elle de manière évasive.
– On est au courant que ton sort améliore les tirs, dit Fabrice. On a testé lundi dernier.
– Cet enchantement n’aurait dû fonctionner que pour moi ! En plus, je ne l’avais presque pas chargé. Il devait être à court de pouvoir.

La surprise de Charline incita Corentin à expliquer ses déductions :
– J’ai recopié les runes sur une feuille, ça a dû réactiver le pouvoir des symboles.
– Impressionnant.

Pour la seconde fois de la journée, l’adolescent se distinguait par ses capacités magiques. Pourtant, il n’en éprouvait aucune satisfaction.
– Que sais-tu sur les enchantements de personnes ?
– Pas grand-chose, c’est une magie très dangereuse à manier.
– Dangereuse pour qui ?
– Celui qui créé l’enchantement risque de se consumer s’il utilise trop d’énergie. Quant à celui qui le subit, les dangers sont différents selon la volonté de l’enchanteur.
– Que reste-t-il d’un enchantement une fois qu’il a été défait ?
– Rien. Les souvenirs de la victime se dissipent comme un mauvais rêve. Seul l’auteur peut se rendre compte de la rupture du sort, mais ça n’est pas visible au premier abord.

Les deux garçons échangèrent un long regard. Pour l’instant, ils n’avaient aucun moyen d’évaluer si Charline était digne de confiance. Néanmoins, elle leur donnait l’impression de connaître les sortilèges et leurs effets.

Fabrice se décida à rentrer dans le vif sujet :
– Quelqu’un m’a jeté un sort qui m’a fait tomber amoureux ?

Les yeux bruns de Charline se fixèrent sur Corentin avec une acuité telle que ses joues s’empourprèrent.
– Ce n’est pas moi, protesta-t-il. J’ai juste annulé l’enchantement.
– Comment tu as fait ?
– Avec une formule d’exorcisme.
– Et un grand seau d’eau bénite, très froide, ajouta son ami.

La jeune fille resta bouche bée, puis elle plongea ses lèvres dans son gobelet de café. Ses compagnons l’imitèrent en silence.

mercredi 5 janvier 2011

Chapitre 10 de Limonade - Episode 8

Dès que Corentin sortit de son cours d’histoire, il retrouva son ami devant la porte. Au pas de course, ils se dirigèrent vers la salle où Charline avait cours. Plusieurs groupes de lycéennes quittèrent la salle en bavardant, mais aucune ne correspondait à la description de la sorcière wiccante.

Soudain, une fille aux cheveux courts enduits de gel les dépassa. Ses oreilles percées de toutes parts, son t-shirt à manches longues rayé noir et blanc et ses yeux bridés la désignaient comme étant celle qu’ils recherchaient.
– Charline ! appela Fabrice.

Elle se retourna vers eux, son sac hérissé de clous à la main telle une arme. Corentin avança dans sa direction, puis demanda :
– Qu’est-ce que tu peux me dire sur les attrapes rêves ?

Cette question transforma la méfiance de Charline en une vague de peur. Elle pivota, prête à s’enfuir, mais Fabrice lui saisit le poignet.
– C’est juste une question, dit-il.
– Laissez-moi tranquille ! Je ne veux pas répondre !

Elle balança son sac dans sa direction avec l’intention de le blesser. Les piques de métal et les pins heurtèrent son bras, ce qui l’incita à resserrer sa prise afin qu’elle ne s’enfuie pas. Une réaction aussi violente l’intrigua, car il ne s’attendait pas à susciter une inquiétude pareille.
– Sur le forum « le jardin de Ceridwen », tu es bien ChaChina ?
– Et alors ! couina-t-elle en se débattant.

Elle s’agitait tellement que l’adolescent craignit de lui faire mal. Sous ses doigts, l’articulation de la jeune fille semblait si fragile et il avait peur d’attirer l’attention.
– Si tu ne me lâches pas, je vais hurler !
– Je te lâche si tu promets de ne pas fuir, proposa-t-il.

Corentin était resté pétrifié suite à l’altercation entre son ami et la wiccante. Il reprit néanmoins ses esprits.
– Sur le forum, tu as posé des questions sur les runes du poteau de basquet. Et le lendemain, elles ont été effacées.
– Comment tu sais ça ? cracha Charline.

Elle marqua une courte pause, puis affirma :
– Cora… J’aurais dû me douter que tu n’étais pas une fille.

Cet échange suscita un sourire amusé sur le visage de Fabrice. Ses yeux bruns pétillaient de malice, ce qui laissait présager une utilisation prochaine de cette révélation. Plus attentif aux réactions de son interlocutrice qu’à celles de son ami, Corentin continua :
– J’aimerai vraiment te poser des questions.
– Tu n’avais qu’à m’envoyer un mail.
– À mon avis, tu ne lui aurais pas répondu, répliqua Fabrice.

Il fallut encore une dizaine de minutes aux deux garçons pour convaincre Charline de répondre à leurs interrogations.

lundi 3 janvier 2011

Chapitre 10 de Limonade - Episode 7

Seules les déglutitions de Fabrice entamèrent le silence qui s’était abattu sur le parking. Une fois son déjeuner terminé, il déclara :
– Je me suis renseigné sur Charline. C’est une fille de première L.
– Ça, on le savait déjà.
– Laisse-moi finir ! L’an dernier, elle n’était pas dans ce lycée. Elle a fait sa seconde au pensionnat Notre-Dame.
– Et ?
– Et c’est tout. On me l’a décrite comme une Chinoise gothique.

Bien que très minces, ces indications étaient suffisantes. Les Asiatiques étaient rares à Rennes ; ceux qui arboraient des habits noirs et un maquillage sinistre l’étaient encore plus.
– C’est bizarre qu’elle soit allée dans la même pension que Gwen, s’étonna Correction.
– Je suis prêt à parier qu’elle faisait partie du club d’histoire l’an dernier.
– Pourquoi ?

Fabrice se tut. Pour se donner une contenance, il ouvrit sa canette de coca. Quelques gouttes de sodas lui giclèrent sur les doigts. Il les lécha, puis répondit :
– J’ai l’impression que toutes les filles qui participent à ce club sont bizarres. Il va falloir que je me renseigne, mais j’ai pas trop envie d’en parler pour le moment.

Comme son ami affichait une expression déçue, il ajouta :
– Je ne veux pas t’inquiéter inutilement. C’est juste des soupçons.
– D’accord. Tu m’en parleras quand tu auras plus d’infos.
– Promis.

Écœuré par le sucre contenu dans sa boisson, il proposa sa canette à Corentin. Ce dernier l’accepta et la but d’un trait.
– Pour Charline, on fait quoi ?
– Je sais pas, admit Fabrice. Tu penses que c’est une sorcière ?
– Oui, j’en suis certain.
– Alors, il faut qu’on lui parle.

Afin de savoir où trouver la jeune fille, ils se rendirent dans le bureau des surveillants. Les livres de classe étaient rangés dans une étagère. Fabrice prit celui de la ***classe*** et grâce aux indications qu’il contenait, ils surent où trouver Charline Kim. Ils convinrent de l’aborder à la pause de l’après-midi.