mercredi 31 août 2011

Chapitre 15 de Limonade - The end

Cela faisait un moment que je n'avais pas écrit de chapitre aussi long avec pas moins de 13 épisodes étalés sur tout le mois d'août.

Pour lire le premier, c'est en suivant ce lien et pour la suite il faudra attendre une bonne semaine. En effet, j'ai quelques chroniques victoriennes en attente de publication et des annonces à relayer.

J'espère que ceux qui auront lu ce chapitre, et les précédents, apprécient toujours autant les aventures de Corentin et Fabrice.

lundi 29 août 2011

Chapitre 15 de Limonade - Episode 13

Corentin prit conscience du sentiment de trahison qui croissait dans sa poitrine depuis que Mouky l’avait traité, entre autres choses, de personne qui « se la jouait artiste ». Manifestement, il n’avait même pas eu besoin d’imaginer cette insulte-là. Ses paroles venaient de faire voler l’amitié illusoire qui le liait à Fabrice.

L’adolescent ne jugea pas utile de s’attarder dans le silence de la cuisine. Il se leva, remonta le zip de son blouson et, sans prononcer un mot, sortit de la maison. Il crut entendre Fabrice l’appeler au moment où il ferma la porte, mais il refusait de s’attarder.

Au-dessus du lotissement de maisons neuves, le ciel se parait d’est en ouest d’un dégradé allant du bleu à l’or. À la lumière du crépuscule, les nuages gagnaient des teintes cuivrées resplendissantes.

Pour avoir consulté les horaires avant de partir, Corentin savait qu’un bus ne tarderait pas à passer. Néanmoins, il n’avait pas envie de poireauter à l’arrêt, là où Fabrice pourrait venir le trouver et poursuivre leur stupide dispute.

Les mains enfoncées dans les poches, l’apprenti magicien partit à grandes enjambées le long de la route qui le ramènerait à Rennes.

vendredi 26 août 2011

Chapitre 15 de Limonade - Episode 12

Bien qu’il se soit exprimé sur ton impassible, Corentin bouillonnait. Il venait d’entendre les pires insultes de sa vie, sa meilleure amie était en train de devenir une sorcière noire et, s’il comprenait ce que Fabrice tentait de glisser entre les lignes, celui-ci allait bientôt le laisser tomber.

Fabrice sembla se rendre compte que quelque chose n’allait pas dans l’attitude de son compagnon. Pourtant, il garda le silence, obligeant son ami à prendre les devants.
— En gros, tu as l’intention de me lâcher ?
— Mais non ! Pas du tout.

Ces dénégations arrivèrent cependant un instant trop tard pour paraître pleinement sincères. Corentin n’y vit que la confirmation de ce qu’il soupçonnait depuis à peine une minute. Pourtant, il n’en attendait pas moins de celui qui avait été son acolyte les semaines précédentes.

D’un regard absent, il dévisagea Fabrice qui tâchait encore de rattraper sa maladresse.
— Je n’ai pas l’intention de laisser tomber toute cette histoire ! J’ai juste besoin de faire une pause, de reprendre mes esprits.
— Alors que tout le monde est en danger à cause des ombres !
— Je te signale que c’est pas toi qui as failli rester coincé dans cette espèce de cristal.
— Non, mais je suis arrivé à te sortir de là. Et si tu avais été un peu plus prudent, tu n’aurais pas manqué d’y rester !

Sans même s’en rendre compte, les deux garçons avaient haussé le ton. À présent, ils criaient presque en se balançant leurs quatre vérités à la figure.
— Comment tu expliques que ton pote était au courant pour mes dessins ? Qu’est-ce que tu leur as raconté d’autre sur moi ? Que je vois des monstres sous mon lit, des fantômes dans les couloirs du lycée ?

Fabrice avala bruyamment sa salive. Pour la première fois de l’après-midi, il donnait l’impression d’être vraiment mal à l’aise.
— C’est pas secret que tu dessines très bien.
— Si, justement c’en est un !

mercredi 24 août 2011

Chapitre 15 de Limonade - Episode 11

Les deux protagonistes de la dispute se tournèrent d’un même mouvement vers la porte. Fabrice venait d’apparaître dans l’embrasure. D’un pas résolu, il marcha en direction de Mouky qui recula.
— Je vais pas te faire de mal, gronda le nouvel arrivant. Je vais juste te foutre dehors avec un coup de pied au cul !

Au ton de Fabrice, ce n’était pas des menaces en l’air. Bien qu’il ne soit pas beaucoup plus grand que son adversaire, la colère qui l’embrasait décuplait ses forces. Poussant son invité devenu indésirable devant lui, il quitta la pièce.

Estomaqué, Corentin mit plusieurs secondes à retrouver son calme. Le claquement de la porte d’entrée, suivi par la pétarade d’une mobylette lui signifia néanmoins que Mouky avait quitté les lieux.

Il attendit avec impatience le retour de son ami. Le soulagement qui s’empara de lui tenait autant de ne pas avoir été obligé se débarrasser tout seul de l’importun que de se savoir soutenu. Hormis en employant la magie, il ignorait de quelle manière il aurait pu le chasser. De plus, il ne voulait même pas penser aux conséquences s’il avait lancé un sortilège dangereux dans le feu de la dispute.

Lorsque Fabrice revint, il relégua ses préoccupations magiques au second ordre.
— Désolé que ça se soit terminé comme ça.
— Et encore, tu n’as entendu la pire, rétorqua Corentin.

Le soupir de son ami révéla qu’il en avait hélas entendu suffisamment pour connaître les accusations proférées par Mouky. Debout entre la table et l’évier, Fabrice se dandina d’un pied sur l’autre. Il ouvrit la bouche pour parler, puis la referma.

Ce comportement ne lui ressemblant pas, Corentin s’inquiéta :
— Quelque chose ne va pas ?
— Romain n’a pas tout à fait tort.

Devant ses yeux écarquillés, Fabrice rectifia :
— Je voulais dire Mouky. Son vrai nom, c’est Romain Moukinian.
— Oui. Et alors ?
— On est tout le temps ensemble au lycée. C’est normal que mes potes se posent des questions. Ils ne te connaissent pas.
— Avec ce qui vient de se passer, je n’ai pas envie de les connaître.

lundi 22 août 2011

Chapitre 15 de Limonade - Episode 10

Perdu dans les pensées, il n’entendit pas la remarque de Mouky. Cependant, le ton sur laquelle il l’avait prononcée, plus proche du crachat suintant que du lâcher de colombe, en disait long sur sa teneur. Devant sa face rubiconde et épaisse, l’apprenti magicien se retint de lui demande de se répéter.

Au lieu de cela, il l’observa avec attention éructer :
— Fabio est bizarre depuis que tu traînes avec lui. Mais je m’inquiète pas pour lui ! Il sait qui sont ses vrais amis.

Une forme sombre et peu naturelle surplombait le t-shirt vert de son interlocuteur. Elle irradiait une telle malveillance que Corentin comprit immédiatement qu’il s’agissait d’une autre de ces ombres maléfiques. Il devina des membres grêles dont les griffes s’enfonçaient dans les motifs psychédéliques.

Pourtant, Mouky ne semblait pas réaliser qu’une espèce de lutin noir et dépenaillé était perché sur son épaule.
— De toute façon, t’es quoi ? Je vais te le dire, t’es qu’une tapette de seconde qui se la joue artiste parce qu’il dessine des dragons et des sorcières gothiques.

Il n’en pouvait plus de l’entendre se moquer de lui. Pourtant, davantage que les mots employés, c’était l’ombre qui le faisait suffoquer de peur. L’augmentation graduelle de son don de double vue l’effrayait. Pour rien au monde, il ne souhaitait voir la réalité telle qu’il la représentait dans ses dessins.

Corentin devait néanmoins se faire une raison. Le démon malingre et le garçon courtaud avaient beau appartenir à deux réalités différentes, ils se confondaient pour le tourmenter, et cela ne pouvait plus durer.

Comme l’adolescent avait davantage d’expérience pour se débarrasser des chimères, il focalisa son attention sur le démon. À mesure qu’il le fixait, celui-ci paraissait de plus en plus maigre. D’une pichenette, il le renvoya dans le néant, ou les limbes ; enfin dans n’importe quel endroit où résidaient les démons.

Une sensation fugace, entre la vague d’électricité et la déflagration, balaya la cuisine, arrêtant net le monologue haineux de Mouky.
— Qu’est-ce que… coassa-t-il.
— Rien !

Toute l’assurance que Corentin avait tiré de son exorcisme réussi explosa dans ce simple mot. Elle suffit à sécher sur place son interlocuteur, pour un court instant hélas.
— T’es qui pour me parler comme ça ! J’te l’ai dit t’es rien qu’une…
— Ferme ta grande gueule !

vendredi 19 août 2011

Chapitre 15 de Limonade - Episode 9

Resté seul dans la pièce, l’adolescent passa en revue toutes les choses dont il aurait aimé parler avec Fabrice. Dans un soupir, il revit sa prise de bec avec Gwenaëlle et ses reproches en fin de compte pas aussi injustifiés que cela. D’une certaine manière, c’était de sa faute si le sortilège qui liait Fabrice à elle avait été brisé. Il portait donc la responsabilité de leur séparation.

Il regretta de ne pas avoir demandé à sa meilleure amie par quel raisonnement elle en était arrivée à penser que d’une part il connaissait bien son ex-copain et que d’autre part il avait joué un rôle important dans leur rupture. En effet, toutes ses interventions dans cette histoire découlaient de son emploi de la magie, ce dont il ne lui avait jamais parlé.

Ces soupçons firent resurgir cette hypothèse qu’il détestait tant : Gwen était devenue une sorcière. Étrangement, Corentin n’avait pas l’intention d’en toucher un mot à Fabrice. Il était persuadé que celui-ci n’avait plus le moindre doute concernant l’implication de Gwen et, plus que tout au monde, il voulait qu’il lui assure le contraire.

Le bruit de pas qui résonna dans le couloir l’arracha à ses pensées. Avec l’espoir que son ami soit revenu afin qu’ils puissent discuter, il se tourna vers la porte. Hélas, ce fut la silhouette pataude de Mouky qui se dessina dans l’embrasure.

Corentin ne parvint pas à cacher son dépit et, faute de mieux, il ignora le nouveau venu. Celui-ci semblait cependant avoir d’autres idées en tête, car il se planta en face de lui.
— C’est vrai cette histoire d’ex ?
— Bien sûr. Je connais Gwen depuis le primaire…

La voix de Corentin se cassa dans la gorge tandis qu’il réalisait que les années passées auprès de Gwenaëlle ne signifiaient plus rien. Son amie avait beaucoup trop changé et, par la force des choses, il avait suivi le même chemin.

mercredi 17 août 2011

Chapitre 15 de Limonade - Episode 8

Légèrement titubant, le garçon surnommé Mouky fit son entrée, accompagné par deux de ses compagnons. Bien que ces derniers le dominent d’une tête, il manifestait son ascendant sur eux en leur bourrant les côtes de coups de poings.
— Ben, qu’est-ce tu fous ? demanda-t-il à Fabrice.
— J’avais des trucs à lui dire.
— Et tu pouvais pas le faire en haut ?

Une ombre de défi planait dans l’attitude du nouveau venu. Les bras fermement calés sur les hanches, il tachait de se donner une contenance ferme en dépit du champignon au regard halluciné qui ornait son t-shirt.
— C’est une amanite tue-mouche ou un bolet de Satan ? demanda Corentin.

Cette tentative désespérée pour détendre l’atmosphère tomba à plat. Ni Moucky, ni Fabrice ne détournèrent les yeux. Pourtant, celui-ci reprit d’un ton acide :
— Je suis pas obligé de tout te raconter.
— Non, mais tu traînes tout le temps avec ce gars, dit-il en désignant l’intrus. Qu’est-ce ça cache ?
— Rien !

Les ricanements entendus qui fusèrent avec un temps de retard enflammèrent les joues de Corentin. Il envia le calme dont son ami faisait preuve, mais, en voyant ses poings contractés, il comprit qu’il ne s’agissait que d’une illusion.
— C’est le meilleur ami de mon ex, expliqua Fabrice. On s’est brouillés avant les vacances et je voulais savoir s’il y avait une chance qu’on se remette ensemble.

Ce mensonge dissipa l’ambiance électrique aussi rapidement qu’elle était apparue. Cependant, les yeux bruns de Mouky n’avaient rien perdu de leur éclat moqueur. Bien qu’il tende la main à son interlocuteur, la grimace qui déformait ses lèvres épaisses entachait leur réconciliation.
— Sans rancune, lança-t-il.
— Pas sûr…

La dérobade de Fabrice fut saluée par les rires idiots des deux spectateurs muets et imbibés de la scène. Pourtant, Corentin continuait de redouter que la querelle ne resurgisse sans prévenir. Il n’intervint pas lorsque son ami quitta la cuisine en emportant une bouteille destinée à satisfaire la soif de ses invités.

lundi 15 août 2011

Chapitre 15 de Limonade - Episode 7

Dès que les deux adolescents entrèrent dans la chambre, Corentin compris que les avertissements de son ami étaient d’une part justifiés et de l’autre largement en dessous de la vérité. Rien que la manière dont ces garçons se tenaient, avachis sur le lit ou les chaises avec des canettes à la main, le mettait mal à l’aise.

Il réprima un haut-le-cœur en respirant une bouffée de bière éventée et de tabac.
— Alors comme ça, c’est lui ton nouveau pote ! beugla l’un des squatteurs désigné sous le surnom de Mouky.

Fabrice acquiesça, puis adressa un regard d’excuse à son compagnon. En réponse, celui-ci concéda un sourire crispé aux airs de grimace. Avisant le pack de bière posé sur le bureau et dans lequel piochait allègrement la bande, Corentin annonça :
— Je vais me chercher à boire.

Sur ces mots, il tourna les talons et dévala les escaliers.

Arrivé dans la cuisine, il fouilla les placards pour en sortir un verre qu’il remplit au robinet. Une fois désaltéré, il s’autorisa un soupir. Son intention de parler de choses sérieuses, et magiques, avec son ami venait bel et bien de tomber à l’eau.
— Ça va ?

La voix de Fabrice résonna depuis le seuil de la pièce. Comme il lui tournait le dos, Corentin n’éprouva pas trop de difficultés à lui cacher sa déception.
— Oui oui, ça va ?
— Tant mieux.
— Je pense juste que je ne vais pas rester plus longtemps.

Les basquets de son ami couinèrent sur le carrelage impeccablement nettoyé de la cuisine, puis une chaise racla le sol tandis qu’il s’asseyait.
- Je me doutais bien que le courant n’allait pas passer avec mes potes.

L’apprenti magicien hocha la tête. Il mourrait d’envie de lui raconter sa rencontre avec Gwenaëlle pour connaître son opinion. Pourtant, avant qu’il n’ait le temps de formuler ses pensées, un vacarme retentit dans le couloir.

Chapitre 15 de Limonade - Episode 6

Trois jours après avoir rencontré Gwenaëlle dans la forêt, Corentin se retrouva à Saint-Jacques, un village composé en majeure partie de résidences flambantes neuves et qui ne cessaient de s’accroitre. Un autobus venait de le déposer à proximité du lotissement où vivait la famille de Fabrice. Les mains dans les poches, il examina les alentours.

Au premier abord, les arbres malingres des jardins et les façades au crépi encore immaculé confirmaient la récente installation des résidents. Les pavillons avaient tous une ressemblance, que ce soit dans les nuances d’ardoise ou pour le choix des huisseries. Il en résultait une impression étrange proche de celle qu’inspirait un décor de parc d’attraction.

Heureusement, les indications de son ami étaient précises et lui permirent de se retrouver dans le dédale d’impasses et d’allées. En moins d’un quart d’heure de marche, il arriva devant une maison dont la boîte aux lettres mentionnait le nom de Herrant. Un peu intimidé, l’adolescent sonna et attendit que quelqu’un vienne lui ouvrir. Comme personne ne vint, il jeta un regard de l’autre côté de la haie de thuyas.

Devant la porte du garage grande ouverte stationnaient trois scooters et deux motos. L’une d’entre elles appartenait à Fabrice, mais il ignorait que celui-ci recevait de la visite cet après-midi. Par une fenêtre entrouverte au premier étage, il entendit une musique agressive crachée à plein volume. Hélas, la chambre donnait sur le jardin et pas sur la rue. Corentin tenta de se manifester en vain.

En désespoir de cause, il écrasa une fois de plus le bouton de la sonnette. Au bout d’un long moment durant lequel il n’avait cessé d’appuyer, la porte d’entrée s’ouvrit.
— Tu peux arrêter ! lui cria Fabrice depuis le porche.
— Tu n’avais qu’à venir la première fois, répliqua-t-il sur le même ton.

Avec soupir faussement agacé, son ami traversa le jardin jusqu’à la haie. À travers les feuilles, il expliqua :
— Mes copains ont appris que mes parents n’étaient pas là ce week-end, alors ils se sont invités.
— Je vois.

En fait, Corentin était trop solitaire pour avoir été confronté à ce genre d’événement. Il s’efforça néanmoins de contrôler sa timidité lorsqu’il suivit son compagnon à l’intérieur.
— Ne fais pas attention à ce qu’ils racontent, le mit celui-ci en garde. Ils sont un peu bourrés, alors ça les rend particulièrement lourds.
— Je croyais que c’était tes copains.

Fabrice s’arrêta au beau milieu de l’escalier menant à sa chambre.
— Ils sont peut-être lourds, mais on est dans la même classe depuis des années.
— Ça les autorise à venir chez toi à l’improviste ?
— Laisse tomber, soupira-t-il après un silence gênant.

vendredi 12 août 2011

Chapitre 15 de Limonade - Episode 6

L’adolescent n’eut pas à feindre la surprise. Bien qu’il sache déjà que Fabrice avait mis fin à leur relation, le fait que Gwenaëlle le rendait responsable de leur rupture le pétrifiait. Par automatisme, son regard plongea vers le sol et il dut prendre sur lui pour garder les yeux au niveau du visage de son amie.
— Je suis désolé que tu ne sois plus avec Fabrice. C’est un gars sympa.
— Tu as quelque chose à voir là-dedans ?
— Non, se récria-t-il.

Corentin n’eut pas à feindre l’indignation. Toute son histoire avec Fabrice reposait sur les effets d’un enchantement avec lequel il n’avait pas le moindre lien. Pourtant, il préféra ne pas lui parler des événements surnaturels qui entouraient leur relation. Il refusait tout simplement d’admettre qu’elle ait le moindre lien avec l’enchantement et décida de ne pas semer le trouble dans son esprit.

Les yeux bleus de Gwenaëlle continuèrent de le foudroyer, mais il résista à la pression des aveux. La certitude de la protéger des influences néfastes de son professeur et du groupe de magie lui donna le courage d’affronter son regard.
— Comment veux-tu que j’ai joué un rôle dans cette histoire ?
— Je ne sais pas, concéda-t-elle. Je pensais que tu pourrais me l’expliquer.
— C’est triste que tu ne sois plus avec lui. Il ne te méritait pas…

Sur ces mots, il fit demi-tour pour quitter la clairière, le cœur battant la chamade. Il aurait aimé rester afin de réconforter Gwenaëlle, mais il ne sentait pas le courage de continuer à lui mentir.

Tandis qu’il s’éloignait, Corentin prit alors conscience que, pour une amoureuse éplorée, son amie avait admirablement bien gardé son calme. Toute sa colère était dirigée contre lui et non contre celui qui était censé lui avoir brisé le cœur. Cette incohérence ne manqua pas de titiller les soupçons qu’il s’efforçait d’étouffer.
— Gwen n’a rien à voir avec tous ses mauvais sortilèges, marmonna-t-il comme pour s’en convaincre.

mercredi 10 août 2011

Chapitre 15 de Limonade - Episode 5

Corentin envisagea un instant de représenter chaque champignon, mais le peu de place restante sur sa feuille l’en dissuada. Soudain, les feuilles mortes crissèrent sous les pas d’un visiteur. L’adolescent fouilla du regard les abords de la clairière jusqu’à remarquer une tache bleue se déplaçant entre les arbres.
— Ah, c’est toi, dit la nouvelle venue quand elle eut franchi le rideau de branchage.

L’apparition de Gwenaëlle laissa l’adolescent sans voix. Elle aussi avait dû marcher pendant un moment dans la forêt. Des mèches blondes s’échappaient de sa queue-de-cheval et formaient une auréole dorée autour de son visage. Tout comme lui elle avait les joues rosies et des traces brunes maculaient ses vêtements.
— Fais attention ! Il y a des champignons partout, indiqua Corentin.
— J’ai vu, figure-toi que c’est pour ça que je suis venue.

L’étincelle de surprise ravie qui dansait dans son regard démentait les paroles de Gwen. Vexé, pour la première fois depuis qu’il la connaissait, son ami sentit la colère poindre en lui.
— OK. Je vais te laisser en profiter tranquillement alors.

Il tourna les talons, prêt à rebrousser chemin et à rentrer chez ses parents. Cependant, sa compagne le retint.
— J’ai un truc à te dire.

Le cœur de l’adolescent s’emballa soudain, bien que le ton acide de Gwenaëlle lui laisse penser qu’il allait essuyer ses reproches.
— Tu connais Fabrice *nom de famille* ?
— Oui, on est dans le même lycée.
— Qu’est-ce que tu lui as raconté sur moi ?

Cette fois, il était évident que la jeune fille était furieuse. Son visage avait viré à l’écarlate, d’une teinte presque aussi soutenue que les amanites tue-mouches. Ne sachant que répondre, Corentin garda les yeux fixés sur les feuilles mortes à ses pieds. Il les releva néanmoins sous l’effet d’une colère grandissante. Cette émotion s’avéra suffisamment intense pour lui donner le courage de mentir à son amie tout en la regardant en face.
— Rien.
— Alors, comment tu expliques qu’il m’ait quitté si tu n’as à voir là-dedans ?

lundi 8 août 2011

Chapitre 15 de Limonade - Episode 4

Un peu essoufflé, il contourna un faisceau d’arbustes dont les branches nues servaient de support à une toile d’araignée piquetée de gouttes de pluie. Il prit garde à ne pas emporter les fils de soie sur son passage avec l’idée de reproduire dans un dessin leur tracé géométrique. Cette envie lui sortit néanmoins de la tête dès qu’il eut atteint le centre de la clairière.

Presque sous ses pieds surgissait des feuilles mortes un champignon de belle taille, au chapeau d’un rouge très vif. Corentin, qui ne s’intéressait qu’à son allure et non à ses qualités gustatives, en fut ravi. Son professeur de biologie avait proposé à sa classe, comme devoir de vacances facultatif, de réaliser une étude des champignons qu’ils croiseraient.

Il sortit donc de sa poche une feuille de papier pliée en quatre et un résidu de crayon gris, tout juste assez grand pour qu’il puisse le tenir entre ses doigts. Accroupi dans l’herbe humide, il s’appuya sur son genou afin de réaliser une esquisse de l’amanite tue-mouche qui se trouvait sous son nez.

En quelques traits, il croqua son pied qui émergeait des débris bruns, y ajouta les détails et l’effet de volume qui rendirent son dessin réaliste, puis s’attaqua au dôme rouge. Il résista à la tentation de transformer ce champignon en maison de lutin ou en gnome endormi. Depuis que Fabrice avait manqué de disparaître dans la prison de cristal, il se méfiait de son imagination plus que jamais.

Lorsque, son dessin achevé, il se releva, il découvrit la présence d’autres amanites aux alentours. Il y en avait plus d’une douzaine de toutes les tailles qui délimitaient un cercle.
- Un rond de sorcière, s’étonna-t-il à haute voix.

Ce n’était que la troisième ou quatrième fois qu’il tombait par hasard sur cette étrange configuration de champignons. La première fois, il ne devait pas avoir plus de huit ans, le récit qu’il en avait fait Gwenaëlle lui avait attiré un ricanement moqueur. Son amie s’était ensuite empressée de raconter cette anecdote à sa propre sauce, brodant de fantastiques aventures qui avaient tenu la classe en haleine une semaine durant.

vendredi 5 août 2011

Chapitre 15 de Limonade - Episode 3

Un soleil d’automne déchirait le voile de nuages amaigris par les pluies matinales. Il chaussa ses vieilles tennis datant du collègue. Elles faisaient une pointure de moins que sa dernière paire et la doublure de tissu partait en lambeaux, mais elles restaient assez robustes pour une promenade en forêt.

L’air saturé d’humidité se réchauffait doucement. Le climat n’en demeurait pas moins frais pour un mois d’octobre. Corentin regretta d’avoir laissé ses gants à la maison. En temps normal, il enfonçait ses mains au fond de ses poches pour les garder au chaud. Cependant, il lui était impossible de les protéger du froid tout en écartant les branchages qui menaçaient de lui fouetter la figure.

Progressant au hasard parmi les chênes et bosquets de noisetiers, il oublia ses vaines tentatives pour devenir un magicien accompli, capable de sortir Gwenaëlle des griffes de son professeur d’histoire. Par habitude, ses pieds trouvèrent d’eux-mêmes le sentier gravé d’ornière de vélos qui le mena jusqu’à la clairière où il avait retrouvé son amie si souvent.

Le sentiment de nostalgie qu’il éprouvait désormais avec une fréquence douloureuse lui serra le cœur. Plutôt que de chercher refuge entre les branches familières du grand chêne, il poursuivit son chemin dans les bois.

À mesure qu’il s’éloignait du lieu de ses promenades habituelles, la végétation se fit plus hostile. Les feuilles qui gisaient sur le sol détrempé trouvaient encore le moyen de se froisser sous ses semelles avec un crissement humide. Plus d’une fois, il échoua à retenir une tige épineuse qui revint lui griffer les habits. Sa veste en avait vu d’autre et, hormis quelques fils arrachés de plus, elle ne s’en porterait pas plus mal.

Au bout d’une bonne heure de marche, l’air vif avait rosi les joues de l’adolescent. L’effort lui avait fait oublier les températures automnales. S’il n’avait craint de la perdre en route, il aurait même ôté son blouson pour être plus à son aise.

mercredi 3 août 2011

Chapitre 15 de Limonade - Episode 2

Corentin avait espéré jouer de son statut de blessé pour rester quelques jours de plus à Rennes en compagnie de sa tante. Cependant, sa mère s’est alarmée de l’accident de son fils et était venue le chercher en personne afin de le ramener au domicile familial.

Durant tout le trajet, elle avait voué les deux-roues aux gémonies, puis s’en était prise à sa maladresse légendaire. Jamais la route entre Rennes et Tregouët ne lui avait semblé aussi longue. Il avait cependant échappé aux sempiternelles questions sur ses notes, ce qui pouvait, à la limite, passer pour une amélioration.

Hélas, cet état n’avait pas duré plus du week-end et il devait désormais justifier d’un travail scolaire rigoureux, ou du moins en donner l’impression. Sa ruse consistant à étudier alternativement les matières enseignées au lycée et celles dont Charline faisait mention dans son carnet. Cependant, ses recherches surnaturelles avaient bien vite pris le pas sur le reste en dépit du peu de résultats qu’il obtenait.

Au moins, ses parents se satisfaisaient de le voir ainsi courbé sur sa table de travail un stylo à la main au lieu de dessiner en rêvassant. Il lui suffisait de marmonner quelques commentaires sur la difficulté de ses cours lors des repas familiaux pour jouir d’une tranquillité absolue. Il savait néanmoins que ces mensonges ne tiendraient pas au-delà des vacances ; ses professeurs avaient promis une flopée de contrôles pour la rentrée. Sans faire appel aux cartes de tarots, il savait que ses notes seraient pitoyables, et son père furieux.

Après une décevante tentative d’amplifier ses capacités de concentration à l’aide d’une améthyste empruntée dans le coffret à bijoux de sa mère, Corentin jeta l’éponge. Il enfonça la pierre en question dans sa trousse, puis sortit de sa chambre d’un pas décidé.

lundi 1 août 2011

Chapitre 15 de Limonade - Episode 1

Suite à une matinée pluvieuse, le soleil refit son apparition en milieu de journée. Un rai de lumière tomba sur le livre de mathématiques grand ouvert sur bureau de Corentin. Bien qu’il donne l’impression de griffonner fiévreusement les réponses aux exercices sur son cahier, le garçon était en train de relater les expériences menées grâce au journal de Charline.

Sa main bandée lui rappelait douloureusement son manque de maîtrise et, plutôt que de consacrer ses vacances de la Toussaint à rattraper son retard en cours, il préférait accroître ses connaissances magiques. Jusqu’à présent, il avait tenté de comprendre la nature du piège tendu dans le laboratoire de Kaenel, mais en vain. Celui-ci imbriquait plusieurs niveaux de magie, de la lithomancie à d’autres dont il ignorait jusqu’à la dénomination.

Il regrettait de ne pas avoir eu l’occasion d’en parler avec Fabrice. Après l’avoir raccompagné chez sa tante, son ami avait pris congés sans lui raconter ce qu’il avait vu quand il était prisonnier à l’intérieur du cristal. Corentin soupçonnait que cette mésaventure l’avait profondément secoué. Lui-même avait parfois du mal à admettre que les événements survenus dans les sous-sols du pensionnat avaient bel et bien eu lieu.

Les éclats de quartz qui avaient déchiré sa paume en constituaient néanmoins une preuve indiscutable. Elle lui avait d’ailleurs valu une visite particulièrement désagréable chez le médecin. Par chance, la blessure était propre et, après l’avoir désinfectée et pansée, le docteur Vijoux avait laissé repartir l’adolescent.

Évelyne l’avait accompagné sans poser la moindre question. Elle avait même confirmé la version qu’il avait donnée au médecin, à savoir qu’il était tombé de la moto d’un ami au moment d’en descendre et qu’il avait posé la main sur un cadavre de bouteille brisé.