vendredi 30 septembre 2011

Chapitre 16 de Limonade - Episode 9

La suite du récit de Gwenaëlle ressemblait comme deux gouttes d’eau aux événements que Charline avait consignés dans son cahier. Cependant, Corentin fit tout son possible pour mémoriser chaque détail de ce que lui racontait son amie.

Entre le laboratoire de chimie détourné pour des cours de potions, la salle de classe sous les toits et les réunions secrètes dans le dortoir à la nuit tombée, il avait désormais un aperçut de la vie que menait Gwenaëlle au lycée Notre-Dame.

À sa joie de retrouver enfin son rôle de confident succéda une pointe d’amertume.
— Pourquoi est-ce que tu ne m’en as pas parlé avant ?
— Je trouvais ça merveilleux ! Arrêter d’être quelqu’un d’ordinaire, devenir maître de son destin…
— Tu n’as jamais été quelqu’un d’ordinaire pour moi.

L’exhalation de Gwen retomba aussitôt. Elle baissa les yeux sur les deux tasses côte à côte sur la minuscule table du café. Gêné de son aveu qui ressemblait fortement à une déclaration, Corentin se leva.
— Je reviens tout de suite.

Attentif à ne pas se prendre les pieds dans les parapluies repliés des autres clients, l’adolescent disparut dans les toilettes. Un début de migraine lui enserrait le crâne comme un étau et sa vision se dédoublait. Pour atténuer la douleur, il s’aspergea le visage d’une giclée d’eau froide.

Derrière ses paupières closes, une nouvelle vision éclata.

Corentin eut l’impression d’être revenu en face de Gwenaëlle. Pourtant, dans le reflet qu’il devinait dans la vitre du bar, la jeune fille était seule. Après avoir jeté un regard à la ronde, elle extirpa une petite fiole de sa poche et en versa deux gouttes dans la tasse vide qui se trouvait devant lui. Ensuite, elle la remplit de thé, ajouta un sucre et mélangea le tout.

L’instant suivant, Corentin se tenait au rebord du lavabo des toilettes, le dos appuyé contre le mur carrelé.
— Mais qu’est-ce qu’elle fabriquait ? articula-t-il avec difficulté.

mercredi 28 septembre 2011

Chapitre 16 de Limonade - Episode 8

Sous l’effet de la surprise, Corentin manqua de renverser la théière placée près de lui. Il la rattrapa de justesse, puis reporta son attention vers son amie.
— Qu’est-ce qui s’est passé ?
— C’est une longue histoire, soupira-t-elle.

La bouche de Gwenaëlle disparut derrière sa tasse. Pendant qu’elle buvait quelques gorgées de son thé, Corentin s’efforça de remettre de l’ordre dans ses pensées. Le moment lui semblait particulièrement mal choisi pour révéler ce qu’il savait à propos du professeur en question.

— Au début de l’année, commença Gwen, je suis allée à un cours d’approfondissement en histoire.
— Tu m’en avais parlé, c’est des trucs sur la mythologie.
— Oui. Le premier trimestre, on a étudié toutes les mythologies, grecques, égyptiennes, nordiques, celtes…
L’adolescent n’eut aucun mal à faire le lien entre la fin de cette énumération et les runes dont Charline lui avait parlé. Pourtant, il résista au désir de montrer ses connaissances et garda le silence.

En face de lui, son amie continua à parler d’une voix de plus en plus nouée :
— Quand on a commencé à voir les runes, les cours ont été l’occasion de faire des expériences. Kaenel nous a montré un très ancien jeu de divination celte, et les prédictions qu’il a faites étaient incroyables.
— Tu veux dire délirantes ?
— Non, elles étaient incroyablement précises. Il a parlé de ma famille.
— C’est un peu normal, il avait dû lire ton dossier.

Cette manifestation de scepticisme valut à Corentin d’être foudroyé par un regard noir.
— Il a dit que j’allais avoir une petite-sœur, avant même que mon père en parle à Ghislain !
— Là, j’avoue que c’est très fort.

Gwenaëlle acquiesça.
— Forcement, j’ai eu envie de comprendre comment il faisait. Et je suis allée aux autres cours…

La voix de la jeune fille mourut dans sa gorge. Impuissant, Corentin vit des larmes perler au coin de ses yeux. Elle les essuya avec sa manche, but une nouvelle gorgée de thé aux fruits rouges et conclut :
— Bref. Grâce aux cours de Kaenel, je suis devenue une sorcière.

lundi 26 septembre 2011

Chapitre 16 de Limonade - Episode 7

Le trajet jusqu’au café le plus proche fut l’occasion pour Corentin de faire preuve de sa maladresse proverbiale. En tout juste un quart d’heure, il réussit à mettre les pieds dans une flaque si profonde que ses baskets en furent imbibées d’eau glaciale, à s’éborgner sur les baleines du parapluie de Gwenaëlle et à trébucher en traversant la salle dans le sillage de son amie.
— Tu es toujours aussi malchanceux, remarqua-t-elle.
— Ça dépend des jours.

Avant de commettre une autre bêtise, l’adolescent se cala au fond de sa chaise et replia ses longues jambes sous la table. Pendant ce temps, Gwen prit possession de la banquette avec des manières fortement semblables à celles de Lucifer. Elle héla un serveur, puis examina la carte avec intensité.
— Qu’est-ce que tu vas prendre ? s’enquit Corentin afin de rompre la glace qui venait de se former un instant plus tôt.
— Un thé.
— Moi aussi.

Ils commandèrent la même chose au serveur qui porta sur eux un regard attendri. Ce dernier soupçonnait probablement un rendez-vous d’amoureux, mais Corentin avait la désagréable intuition que les choses allaient très vite devenir beaucoup plus compliquées.

Sans être capable d’expliquer cette prémonition autrement que par l’attitude tantôt cajoleuse et tantôt distante de Gwenaëlle, il la laissa mener la conversation. Il s’installa dans un mutisme interrogateur tandis que leurs tasses arrivèrent, accompagnées de biscuits à la cannelle et de sucres emballés.

Nullement intimidée, Gwen remplit sa tasse d’un liquide fumant au parfum de fruits rouges. Bien que sa lenteur se révèle crispante pour son vis-à-vis, elle ajouta un demi-sucre à son thé et le remua jusqu’à sa totale dissolution. Enfin, elle releva les yeux vers Corentin avec une moue anxieuse qui suffit à effacer toute méfiance des pensées du garçon.
— J’ai des problèmes avec un professeur du lycée.
— Ah bon, lequel ?
— Mon professeur d’histoire, David Kaenel.

vendredi 23 septembre 2011

Chapitre 16 de Limonade - Episode 6

Le compliment raviva la rougeur qui embrasait les joues de Corentin. Il s’efforça néanmoins de se calmer et reprit d’une voix à peine tremblante :
— Et de quoi voulais-tu parler ?

Au regard de Gwenaëlle, il comprit qu’elle n’était pas encore prête à aborder le sujet. Il se résigna néanmoins à son silence.
— Ça se passe bien dans ton lycée ?
— Oui, si on oublie l’uniforme et la prière quotidienne. Et toi ?
— Pas de prière, pas d’uniforme, c’est le paradis quoi…

Le rire de Gwen évoqua une caresse, ce qui ne fit rien pour atténuer le trouble que Corentin ressentait en sa compagnie. Il était forcé d’admettre que la nature de ses sentiments pour elle n’était plus exactement la même que les années précédentes.

À la dérobée, il jeta un coup d’œil vers elle. Sous son blouson de toile noire, elle portait un pull aux rayures couleur menthe et chocolat et un pantalon en jean délavé. Sa coiffure s’accordait avec la décontraction de sa tenue ; les deux nattes qui prenaient naissance derrière ses oreilles retombaient sur ses épaules.

Tout à son observation attentive de la jeune fille, Corentin tentait de graver chaque détail dans sa mémoire. Elle intercepta soudain son regard et sourit.
— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda-t-il un ton trop haut.

Gwenaëlle éclata de rire à nouveau.
— J’en étais sûre !
— De quoi ?

Elle se percha sur la pointe de ses chaussures pour murmurer à son oreille :
— Tu es amoureux de moi.

Stupéfait par cette affirmation, Corentin ne songea pas pour autant à nier. De toute manière, la satisfaction de Gwen à cette idée lui ôtait toute envie de la contredire.

Ils gardèrent le silence un long moment pendant qu’une pluie drue recommençait à tomber.
— On devrait aller se mettre à l’abri, suggéra Gwenaëlle.

mercredi 21 septembre 2011

Chapitre 16 de Limonade - Episode 5

Le plus gros de l’averse était déjà passé lorsque Corentin se retrouva dans la rue. Quelques gouttes continuaient de tomber sur le trottoir détrempé, mais il lui suffit de remonter sa capuche pour s’en protéger.

Un regard à sa montre apprit à l’adolescent qu’il était presque en retard. Il accéléra l’allure pour attraper un bus en direction de Grand Quartier, puis courut une fois arrivé à destination. Les arbres du square de la Motte se dessinaient de l’autre côté de la route, protégés par de hautes grilles en fer.

Une silhouette blottie sous un parapluie à fleurs jaunes se tenait sur le côté de la porte d’entrée. Sa présence coupa les jambes de Corentin. Dans son dernier message électronique, il avait proposé ce lieu de rendez-vous à Gwen sans trop y croire.

Reprenant le contrôle de ses émotions, le garçon se hâta de traverser la route.
— Salut Cory ! lança-t-elle dès qu’il fut à portée de voix.

Devant la bonne humeur évidente de Gwenaëlle, Corentin sentit son cœur s’affoler. Une désagréable chaleur monta à son visage tandis qu’il l’embrassait sur la joue.
— C’est gentil d’être venu. Avec ce que je t’avais dit dans la forêt, j’avais peur que tu ne fasses la gueule.
— Mais non, Gwen. Tu sais bien que je ne t’en veux jamais.

Le sourire fugitif qui apparut sur les lèvres de la jeune fille trahit sa satisfaction de conserver malgré tout l’affection indéfectible de son ami d’enfance. Pourtant, ses doigts jouaient avec l’une des longues mèches blondes qui encadraient son visage.

Comme elle gardait le silence, Corentin dut se forcer à amorcer la conversation.
— J’avoue que ça m’a surpris que tu demandes à me voir.
— Pourquoi ?
— Tu n’as pas donné de signe de vie depuis la rentrée, et puis tu ne réponds pas à mes messages d’habitude.

Les reproches voilés contenus dans les paroles de l’adolescent glissèrent sur Gwen comme les gouttes sur son parapluie jaune. Elle se contenta d’éluder ces accusations d’un simple haussement d’épaules.
— J’ai besoin de parler à quelqu’un, et il n’y a que toi en qui j’ai confiance.

lundi 19 septembre 2011

Chapitre 16 de Limonade - Episode 4

La résignation de son ami stupéfia Fabrice. Jusqu’à présent, l’apprenti exorciste avait fait preuve d’une détermination sans faille pour aider Gwenaëlle. Même Charline sembla surprise de ce revirement.
— En fait, expliqua Corentin, j’ai l’impression que je ne me pose pas les bonnes questions. Il y a forcement des choses à faire, mais je n’arrive pas à savoir quoi.
— Et comment tu comptes t’y prendre ?

Le ton de Fabrice trahissait une pointe d’amertume. Alors qu’il envisageait quelques heures plus tôt de tout laisser tomber, il n’admettait pas que son complice éprouve des doutes similaires.

Le silence de Corentin et son regard fuyant le firent grincer des dents. Encore une fois, Charline fut contrainte de pacifier les relations entre les deux garçons. Elle jeta un coup d’œil de connivence à Fabrice, puis déclara :
— On te laisse une semaine pour nous dire quel est ton nouveau plan.
— Mon plan ?
— Tu ne peux pas abandonner maintenant, et tu le sais très bien. Tôt ou tard, tu vas avoir une nouvelle idée pour aider ta meilleure amie.
— Et je n’aurais qu’à vous en parler la prochaine fois qu’on se verra ?

La jeune gothique acquiesça.
— La prochaine fois, c’est dimanche prochain, précisa-t-elle. Une copine m’a donné une recette de cookies et j’ai besoin de cobayes pour la tester.
— S’ils sont aussi bons que ton gâteau, je signe de suite !

Plus que la pâtisserie, Fabrice appréciait surtout que Charline exprime à voix haute ses inquiétudes. Bien qu’il soit persuadé qu’elle s’appuyait sur ses talents de divinatrice pour y parvenir, sa compagnie devenait précieuse.

Soudain, Corentin se leva de table.
— Désolé de devoir partir si vite, s’excusa-t-il, mais je n’avais pas prévu de rester aussi longtemps.
— Tu as un rendez-vous ? s’enquit Charline avec un sérieux glacial.

L’adolescent hocha la tête.
— Je n’aimerais pas être en retard.

Sur ces mots, il salua ses deux amis et quitta l’appartement.

vendredi 16 septembre 2011

Chapitre 16 de Limonade - Episode 3

Les deux garçons échangèrent un regard peiné, chacun regrettant les paroles prononcées lors de leur malheureuse dispute de la veille. Ils restèrent néanmoins muets jusqu’à l’intervention de la gothique armée de son gâteau au chocolat. Elle leur servit des parts généreuses tandis qu’elle-même se contentait d’une mince tranche.

— Tu es sûre que tu manges assez ? s’inquiéta Corentin en considérant les bras chétifs de son amie qui dépassaient de son t-shirt.
— Je n’ai pas faim.
— Oh.

Les sourcils froncés de Fabrice le convainquirent de se taire. La minceur de Charline n’avait rien de naturel, mais aborder le sujet n’apporterait rien de bon.

— Donc, tu nous as invités tous les deux pour qu’on se réconcilie ? demanda Fabrice pour changer de sujet.

La bouche pleine, la jeune fille hocha la tête, puis elle fit passer son morceau avec un verre de jus de fruit.
— En fait, je t’ai invité toi. Corentin avait déjà prévu de venir me rendre mes cahiers.

Le regard de Fabrice passa de l’un à l’autre.
— Je n’étais pas au courant, se récria Corentin. Je ne lui ai pas parlé de l’embrouille avec ton copain.
— Exact, plastronna Charline. Je voulais voir si j’avais encore mon pouvoir de divination.
— Et ?

Le sourire qui étira les lèvres maquillées de violine de la gothique valait largement une réponse.

L’atmosphère était à présent beaucoup plus détendue. Tandis que les garçons se servaient une nouvelle part de gâteau, ils échangèrent leurs impressions à propos de leur intrusion dans le laboratoire de Kaenel.

Le récit de leur aventure fut accueilli par les commentaires impressionnés de leur hôtesse.
— J’aurais jamais osé mettre les pieds dans sa cave, admit-elle.
— En fait, c’était pas une très bonne idée d’y aller.

L’affirmation de Corentin jeta un froid sur la cuisine.
— Fabrice a failli rester prisonnier dans un cristal, et on n’a rien découvert là-bas.
— Qu’est-ce que vous comptez faire ?
— Je ne sais pas.

mercredi 14 septembre 2011

Chapitre 16 de Limonade - Episode 2

Il se trouvait à présent devant la porte, une légère appréhension nichée au fond de la gorge. À peine eut-il le temps de frapper deux coups que le battant s’ouvrit sur une Charline rayonnante.
— Super, tu as pu venir !
— Oui. Je n’avais pas vraiment le choix, il me semble.

La sorcière wiccante coupa court à ses récriminations en l’invitant à entrer. Une délicieuse odeur de chocolat flottait dans l’entrée. Derrière la télévision allumée, un garçon agitait une manette avec fureur.
— Prends ça Frankenstein !

Fabrice reconnut le timbre fluté de l’enfant qui lui avait répondu à l’interphone. Celui-ci ne semblait cependant pas faire attention à lui, trop occupé par le boss contrôlé par la console.
— Tu viens, l’appela Charline depuis le couloir.

À regrets, l’adolescent s’arracha à la contemplation de l’écran aux couleurs vives. Les trop rares occasions où il était parvenu à échapper à la vigilance de ses parents pour s’adonner aux jeux vidéo lui laissaient un souvenir émerveillé.

Finalement, il rejoignit Charline sur le seuil de la cuisine.
— Pourquoi tu voulais que je vienne ?
— Il y a des choses qu’il faudrait tirer au clair.

Devant la grimace pleine d’incompréhension de Fabrice, elle ajouta avec un sourire malicieux :
— Ce n’est pas avec moi que tu dois t’expliquer…

Sur ces mots, la gothique recula dans la cuisine pour ouvrir le four. Le parfum aromatique du gâteau au chocolat se répandit dans la pièce. Pourtant, la perspective d’en manger un morceau perdit de son attrait lorsqu’il aperçut la silhouette de Corentin voûtée au-dessus d’une tasse.

Ne sachant quelle attitude prendre avec lui, Fabrice préféra lui laisser l’initiative. Visiblement, son ami partageait son embarras, car il garda la bouche close.

Au bout d’une minute qui leur parut durer une éternité, Charline mit fin au silence en déclarant :
— C’est pas bientôt fini vos bêtises !

lundi 12 septembre 2011

Chapitre 16 de Limonade - Episode 1

D’un geste énergique, Fabrice boucla son antivol autour de la roue avant de sa moto. Après s’être assuré qu’elle était solidement attachée à la grille du trottoir, il se redressa, son casque sous le bras. La rue où il venait de se garer ne lui était pas familière. Pourtant, il la remonta sur quelques mètres en courant presque pour se mettre à l’abri de la pluie qui menaçait.

Arrivé sous le porche, il écrasa le bouton de la sonnette qui mentionnait le nom « Kim ».
— C’est qui ? demanda une voix enfantine entre deux grésillements.
— Je suis Fabrice, un ami de Charline.

Le bruit indistinct d’une conversation lui parvint déformé par la piètre qualité de l’interphone, puis un son aigre à lui faire grincer les dents résonna. Poussant le lourd battant de bois peint en bleu, l’adolescent prit néanmoins la peine de remercier son interlocuteur. Il gravit les marches de l’escalier à vis quatre à quatre, pressé de savoir ce que la jeune sorcière lui voulait.

En effet, Charline avait téléphoné chez lui en début de matinée. Hélas, il n’était pas encore levé à ce moment. Après le départ précipité de Corentin, il avait tenté de profiter de sa soirée avec ses amis, en vain. Leur dispute n’avait cessé de lui tourner dans la tête, l’empêchant même de dormir après le départ de la bande.

Au cours de sa nuit d’insomnie, il avait amplement eu l’occasion de réfléchir à sa conception de l’amitié et de la trahison. Conscient qu’il allait devoir choisir entre ses camarades de classe et son ami lunaire, Fabrice était piégé. Incapable de trancher, il était resté à contempler le plafond de sa chambre plongé dans les ténèbres. L’odeur résiduelle d’alcool et de tabac bon marché qui imprégnait sa couette avait fini par l’abrutir suffisamment pour qu’il sombre dans un sommeil lourd et agité bien après minuit.

À cause de son réveil tardif, c’était sa mère qui avait intercepté l’appel de la gothique. Depuis, cette dernière ne cessait de le harceler pour obtenir des informations sur la jeune fille qu’elle avait eue au bout du fil. Ne connaissant même pas son numéro, Fabrice s’était vu contraindre de se rendre sans discuter à l’adresse indiquée dans le message s’il voulait connaître la raison de ce coup de téléphone.

lundi 5 septembre 2011

Le protectorat de l’ombrelle : Sans âme


Ce roman de Gail Carriger me faisait déjà de l’œil bien avant sa traduction française. Il faut dire les éléments mis en avant par l’éditeur sont alléchants : des vampires, des loups-garous et une ombrelle. Tout cela ressemble à de la bit-lit traditionnelle, mais assaisonnée à la mode victorienne. J’avais cependant un peu peur de tomber sur une resucée insipide des autres succès du genre avec pour seules originalités une crinoline et un parapluie.

Heureusement, « Sans âme » tire son épingle du jeu (si cela n’avait pas été le cas, je n’en aurais pas parlé ici). Certes, la qualité littéraire n’est pas toujours au rendez-vous, les rebondissements sont prévisibles et certaines incohérences ont visiblement échappé aux correcteurs. Il n’en reste pas moins que ce roman est un moment de lecture agréable à mi-chemin entre les aventures de Mercy Thompson et les œuvres de Jane Austen.

Pour supporter un tel mélange, l’auteur a réussi à créer une héroïne atypique pour son siècle. Alexia Tarabotti est une vieille fille de vingt-six ans bien décidée à renoncer aux joies du mariage tant qu’elle dispose d’une bibliothèque bien garnie. Elle est cependant affligée d’une curieuse affection héritée de son défunt père : elle n’a pas d’âme.

Le côté métaphysique d’une telle absence est assez peu abordé au cours du roman. Cependant, ses effets sur les créatures surnaturelles sont régulièrement exploités dans le déroulement de l’intrigue. D’un simple contact, Alexia est capable de priver un vampire ou un loup-garou de ses attributs surnaturels, ce qui peu se révéler fort pratique lors de la pleine lune ou lorsqu’un vampire tente de la mordre.

C’est d’ailleurs sur cette dernière situation que s’ouvre le roman. Néanmoins, il ne faudrait pas croire que la suite sera du même ordre concernant l’action. Il devient très vite évident que l’aspect romance est prépondérant dans ce premier tome sans que cela nuise cependant au déroulement de l’intrigue.

Comme le résumé de l’éditeur est plutôt bien fait, et surtout qu’il rend justice à l’humour déployé par l’auteur pour échapper au style compassé auquel le lecteur pourrait s’attendre, je ne vais pas m’embêter à en faire moi-même.
« Alexia Tarabotti doit composer avec quelques contraintes sociales. Primo, elle n’a pas d’âme. Deuxio, elle est toujours célibataire et fille d’un père italien, mort. Tertio, elle vient de se faire grossièrement attaquer par un vampire qui, défiant la plus élémentaire des politesses, ne lui avait pas été présenté. Que faire ? Rien de bien, apparemment, car Alexia tue accidentellement le vampire. Lord Maccon – beau et compliqué, Écossais et loup-garou à ses heures – est envoyé par la reine Victoria pour enquêter sur l’affaire. Des vampires indésirables s’en mêlent, d’autres disparaissent, et tout le monde pense qu’Alexia est responsable. Découvrira-t-elle ce qui se trame réellement dans la bonne société londonienne ? Qui sont vraiment ses ennemis, et aiment-ils la tarte à la mélasse ? »

Mon avis sur ce premier tome du Protectorat de l’ombrelle tient en peu de mots : une chouette lecture distrayante et accrocheuse, à condition de mettre son exigence littéraire de côté.

vendredi 2 septembre 2011

La confrérie de l'horloge


J’ai eu un coup de cœur pour l’illustration de la couverture de ce roman pour adolescents. Une vue de Londres en pleine nuit, avec du brouillard et un personnage drapé d’un cape noire en train d’escalader une façade. De plus, le texte présent au dos promettait une aventure fantastique aux relents de vapeur et de charbon dans une ambiance victorienne.

Histoire de commencer cette critique de façon positive, le roman tient ses promesses. Il y a des tas de mécaniques steam-punk tout au long du livre et l’aspect victorien des décors est très bien rendu à travers de petites touches réalistes.

Le seul défaut que j’ai trouvé à ce roman, qui reste néanmoins excusable car il s’agit d’un ouvrage jeunesse, est la relative linéarité de l’intrigue. Par contre, j’ai été agréablement surprise de la complexité des personnages. Même pour ceux qui n’ont qu’un rôle secondaire dans le livre, leurs motivations sont vraisemblables et les descriptions percutantes. Le corolaire, c’est qu’on a envie d’en apprendre davantage sur la manière dont ils ont été impliqués dans toute cette histoire.

Je déplore quand même une pointe de manichéisme, encore que l’homme pour lequel agissent les deux héros n’a pas toujours les mains propres. Cependant, ce roman a le mérite d’être à la fois intelligent et divertissant.

L’alternance des points de vue entre Modo, l’adolescent difforme élevé parmi les livres pour devenir l’espion parfait par la grâce d’un étrange pouvoir (unique touche fantastique du roman), et Octavia, la jeune voleuse des rues devenue une espionne de charme malgré ses seize ans, rend la lecture variée. De plus, l’auteur a pris soin d’intégrer par moment quelques chapitres où il met en scène les membre de la confrérie de l’horloge et leurs victimes dont une sorte de savant fou.

En résumé, ce livre est parfait pour les personnes qui ont aimé le film « La ligue des gentlemen extraordinaire », car on y retrouve une ambiance similaire. C’est hélas la seule référence qui me vienne à l’esprit, à part les polars victoriens de Lee Jackson (qui sont malheureusement plus soignés au niveau du contexte historique que de l’intrigue) et la série « A comme association » pour le duo de héros.

« Pour Modo, recueilli bébé et éduqué selon les instructions d’un certain monsieur Socrate, la vie pourrait être facile s’il n’était affublé un corps et un visage difforme. Par chance, il dispose de l’étonnante capacité de le modifier pendant un bref moment grâce à la force de son esprit. Jusqu’à son adolescence, il est resté coupé du monde. Cependant, les agissements de la mystérieuse Confrérie de l’Horloge menacent la couronne d’Angleterre et vont obliger M. Socrate à soumettre son agent à l’épreuve du feu. »

Je ne sais pas si cette critique vous a donné envie de lire « La confrérie de l’horloge », mais je sais que je risque de me laisser tenter par la suite, « La cité bleue d'Icaria ».